INFORMER ET INTERPELLER : LES TITRES DANS LES ACTIONS DE GINA PANE
JULIA HOUNTOU, “INFORMER ET INTERPELLER : LES TITRES DANS LES ACTIONS DE GINA PANE”, in LA FABRIQUE DU TITRE, NOMMER LES OEUVRES D’ART (SOUS LA DIRECTION DE P. M. DE BIASI, M. JAKOBI, S. LE MEN) ÉD. CNRS, PARIS, 2012, 458 p.; pp. 319-346.
(Textes issus d'un séminaire de recherche ITEM-CNRS organisé entre 2007 et 2009)
RÉSUMÉ DE L’ARTICLE DE JULIA HOUNTOU, « INFORMER ET INTERPELLER : LES TITRES DANS LES ACTIONS DE GINA PANE » :
L’APPROCHE DES TITRES DES ACTIONS DE GINA PANE EST INTÉRESSANTE SOUS PLUSIEURS ASPECTS, ET NOTAMMENT EN RAISON DE LEURS LIENS PARFOIS COMPLEXES AVEC L’ŒUVRE ELLE-MÊME.
APRÈS UNE PRÉSENTATION DE L’ARTISTE ET DE SES PROCESSUS CRÉATIFS, NOUS ABORDONS L’ÉTUDE PROPREMENT DITE DES TITRES DE SES ACTIONS.
ILS ONT ÉTÉ CLASSÉS EN FONCTION DE LEURS AFFINITÉS ET DE LEUR INTENTIONNALITÉ SOUS-JACENTE.
ELÉMENTS CONSTITUTIFS DE L’ŒUVRE, MÉDIUMS ACTIFS ENTRE L’ARTISTE ET LE PUBLIC, LES TITRES DES ACTIONS DE GINA PANE EN EXPRIMENT LA SUBSTANCE ET CLARIFIENT SON INTENTION.
NOUS VERRONS COMMENT CERTAINS DE SES TITRES METTENT LE PROCESSUS D’ÉCHANGE EN ÉVIDENCE.
SI QUELQUES TITRES INTRIGUENT PAR LEUR CARACTÈRE ÉNIGMATIQUE, VOIRE PARADOXAL, NOUS ANALYSERONS COMMENT D’AUTRES EXPLICITENT CLAIREMENT LES ÉLÉMENTS FIGURANT DANS L’ACTION.
NOUS ÉTUDIERONS AUSSI LES SOUS-TITRES QUI DÉFINISSENT LES PHASES DE SES ACTIONS ET L’USAGE DES TITRES DE DIFFÉRENTES LANGUES.
NOUS CONSTATERONS QUE SI CERTAINS TITRES VARIENT PARFOIS EN FONCTION DE L’INTENTION DE GINA PANE, D’AUTRES PEUVENT SEMBLER « ERRONÉS ».
ENFIN, NOUS OBSERVERONS COMMENT LES TITRES-HOMMAGES PRENNENT LEUR SOURCE AUSSI BIEN DANS L’ACTUALITÉ QUE DANS LA CULTURE ARTISTIQUE DE LA PERFORMEUSE.
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JULIA HOUNTOU, “INFORM AND INTERPELLATE : TITLES IN GINA PANE’S ACTIONS”
TITLES’ APPROACH OF GINA PANE’S ACTIONS IS INTERESTING UNDER NUMEROUS ASPECTS, ANDNOTABLY IN REASON OF THEIR CONNEXIONS, SOMETIMES COMPLEXE, TOWARD THE WORK ITSELF.
AFTER A PRESENTATION OF THE ARTIST AND HER CREATION PROCESS, WE GET ONTO THE STUDY OF HER ACTUAL ACTIONS’ TITLES.
THEY HAVE BEEN CLASSIFIED ACCORDING TO THEIR AFFINITIES AND THEIR UNDERLYING INTENTIONALITY.
CONSTITUENTS’ ELEMENTS OF THE WORK, ACTIVE MEDIUMS BETWEEN THE ARTIST AND THE PUBLIC, GINA PANE’S ACTIONS’ TITLES EXPRESS THE SUBSTANCE AND CLARIFY HER INTENTION.
WE WILL SEE HOW CERTAIN OF HER TITLES HIGHLIGHT THE EXCHANGE PROCESS.
IF SOME TITLES INTRIGUE BY THEIR ENIGMATIC CHARACTER, OR EVEN NOT TO SAY, PARADOXICAL, WE WILL ANALYZE HOW OTHERS CLEARLY EXPLAIN THE ELEMENTS FEATURING IN THE ACTION.
WE WILL ALSO EXAMINE THE SUBTITLES THAT DEFINE HER ACTIONS’ PHASES AND THE USE OF DIFFERENT LANGUAGES IN TITLES.
WE WILL OBSERVE THAT IF SOME TITLES VARY AT TIMES, ACCORDING ON GINA PANE’S INTENTION, OTHERS MAY SEEM “ERRONEOUS”.
LASTLY, WE WILL REMARK HOW THE “HOMAGE-TITLES” TAKE THEIR SOURCE AS WELL IN THE ACTUALITY AS IN THE PERFORMER’S ARTISTIC CULTURE.
Merci Michel Vignard pour votre retour dans Art Press" :
"Pour terminer, nous dirons un mot du texte de Julia Hountou sur Gina Pane. Plasticienne du body art décédée en 1990, Gina Pane a parcouru toutes les formes de l’art, des plus traditionnelles jusqu’aux installations contemporaines qu’elle nommait d’un terme qui n’est pas sans rappeler les compositions de Kandinsky, « partition ». Ses titres peuvent désigner une succession de « moments » ou des situations différentes qui marquent un work in progress, comme dans Terre protégée I, II et III ou dans la série Projet du silence (du I au IV).
Ces œuvres sont accompagnées de commentaires rédigés en français, en italien, parfois en anglais, et peuvent être modulées d’une performance à l’autre. Si Death control (juin 1974) travaille à partir des derniers moments de la mère de l’artiste, Death control-Transit (23 janvier 1975), suggère plus explicitement par le mot transit un passage de la mort à la vie à travers le deuil mais aussi à travers l’universalité du passage de la vie à la mort. Ironie de l’histoire, les titres de Gina Pane retrouvent dans la nomination d’un instant la valeur originelle indicielle qu’ils avaient au 17e siècle pour accompagner le spectateur au cœur de l’expérience esthétique de l’œuvre."
https://www.artpress.com/2012/09/21/sens-ou-absence-du-titre/
ROME - VILLA MÉDICIS // ETC - REVUE DE L'ART ACTUEL
Julia Hountou, “Rome - Villa Médicis - Pascal Gautrand”, ETC - Revue de l’art actuel, février - mai 2011,
pp. 75-76 : PDF
LE RÔLE DE L'AUTOPORTRAIT PERFORMATIF CHEZ GINA PANE
“Le rôle de l’autoportrait performatif chez Gina Pane” par Julia Hountou, pp. 63-74
Publié dans Visage et portrait. Visage ou portrait - Textes réunis par Fabrice Flahutez, Itzhak Goldberg, Panayota Volti, Ed. des Presses Universitaires de l'Université Paris Nanterre, 191 pages
24 HEURES DE LA VIE D'UNE FEMME ORDINAIRE - UNE PERFORMANCE DE MICHEL JOURNIAC
Le corps a été le matériau privilégié de l'expression artistique de Michel Journiac (1935-1995) dont l’action photographique 24 heures de la vie d'une femme ordinaire. L'artiste y dénonce le quotidien et les rituels sociaux asservissant qui s'imposent aux femmes mais aussi le piège qui enferme les hommes, comme il l'explique dans une interview inédite de 1974.
Michel Journiac, 24 heures de la vie d'une femme ordinaire, novembre 1974
La réalité : le raccord
"Je n'avais pas la prétention en m'habillant en femme pendant 24 heures de mettre à nu toute la complexité de la condition féminine. Je voulais plutôt illustrer un certain nombre de situations, les expérimenter avec mon propre corps, amener le public à se poser des questions, montrer aux femmes combien elles sont piégées et aux hommes, ce qu'ils peuvent faire d'une femme." [1]
Par cette déclaration faite en 1973/74, Michel Journiac nous informe sur la place qu'il accorde à la femme et plus généralement à l'individu dans la société. En effet, si cet artiste contemporain français né en 1935 et décédé en 1995, est connu comme l'un des principaux représentants de l'art corporel en France, sa pratique est totalement engagée dans le social [2]. Ses deux préoccupations majeures sont la situation de l'individu dans la société et l'insertion de l'artiste dans le schéma social.
Un art militant et en temps réel
Il faut garder présent à l'esprit que les recherches de Michel Journiac se situent à la fin des années 60, durant une période de contestation généralisée du pouvoir, des institutions, de l'esthétique, de la représentation, ou plus précisément à l'époque des bouleversements politiques et sociaux de Mai 68. Les révoltes étudiantes mais également la guerre du Viêt-nam, les problèmes de racisme et l'intérêt grandissant pour la psychologie et la sociologie sont à l'origine de cette crise profonde de toutes les sociétés occidentales. Les courants anti-hégémoniques redéfinissent les notions de pouvoir et de liberté. La nouvelle génération veut changer la société en améliorant la vie, sans attendre la lente évolution des institutions (Etat, Justice, Université, etc.). La révolte étudiante est pour beaucoup d'artistes qui veulent élargir le champ de l'œuvre d'art à une dimension socio-politique nouvelle, le catalyseur d'un espoir nouveau. En effet, ces derniers remettent en question un système artistique dépassé et espèrent la refonte générale des structures culturelles. Ils remettent en cause l'œuvre d'art dans ses fondements traditionnels comme objet unique, achevé, directement consommable et se situent au niveau de l'acte, en créant un art qui existe en temps réel et non en différé. Ces artistes développent d'autres modalités de créations comme la performance, scène d'une explosion d'expressions multiples et utilisent tout matériau jusqu'à leur propre corps. La vie même est devenue création. Ces années qui se caractérisent par une libération des moeurs impliquent la libération du corps, terriblement occulté jusqu'alors.
En effet, l'art corporel (Body art, en anglais) est, d'une certaine manière la conséquence de la réflexion que les événements sociaux des années soixante-dix ont provoquée. A présent, les artistes corporels [3] créent un art militant où la représentation ne suffit plus pour rendre compte de ce qu'est le corps et où il faut donc être physiquement présent pour réellement s'engager contre les tabous, les préjugés sociaux, l'exclusion des minorités. Dans ce contexte de remise en question généralisée, ces artistes emploient souvent leur corps qui peut être travesti, utilisé comme instrument ou unité de mesure, agressé et éprouvé jusqu'aux limites de la souffrance, exhibé, mis à l'épreuve de la concentration, de la résistance physique…
Ainsi, à partir de 1968, Michel Journiac [4] réalise des actions qui mettent en jeu le corps "considéré comme totalité de l'être." [5] C'est le matériel privilégié de l'expression artistique de Michel Journiac. Il est le sujet et l'objet de son œuvre, car c'est le médium le plus naturel qui soit et si l'on ose dire le plus immédiat pour s'exprimer et solliciter, encore plus directement, les sensations de celui qui regarde. C'est le lieu d'inscription de toutes nos expériences, là où se greffent et se nouent tous nos rapports au monde extérieur. L'artiste cherche avant tout à révéler le corps, à le mettre à jour. Il revendique sa matérialité avec ses composantes biologiques (chair, sang, os…), et ce qu'il implique (prééminence du désir, sexualité, ambiguïté sexuelle, mort, rapport au sacré, à la religion). De plus, en tant que travail du vivant sur le vivant, l'art de Journiac n'existe pas comme un secteur clivé et isolé; il est relié à l'existence tout entière de l'individu dans la société. Aussi s'il définit le corps à travers sa faculté d'échange, de communication, il dénonce également sa tendance à être occulté, opprimé, contraint, humilié, rejeté. Journiac soulève tous les problèmes qui permettent de cerner la question centrale du corps socialisé : ses liens de dépendance et sa recherche d'autonomie à travers des prises de conscience suscitées par l'artiste. Autrement dit, parallèlement à sa critique de l'activité artistique traditionnelle, Michel Journiac situe son travail par rapport à l'affirmation corporelle et par rapport aux données socio-politiques, de telle sorte que toute son activité se développe sous le triple aspect critique, corporel, sociologique (dans le sens d'une réflexion sociale).
Michel Journiac, 24 heures de la vie d'une femme ordinaire, novembre 1974
La réalité : la vaisselle
La quotidienneté banale et rituelle des gestes féminins
C'est dans l'action photographique 24 heures de la vie d'une femme ordinaire (novembre 1974, Galerie Stadler, Paris) que Michel Journiac se positionne explicitement par rapport à la place de la femme dans la société. Ici, l'artiste se travesti lui-même en femme et reproduit sur un mode réaliste la quotidienneté banale et rituelle des gestes féminins, en utilisant l'appartement de ses parents, dans le décor existant [6]. L'artiste mime les actes féminins depuis le réveil du mari en passant par l'exécution des tâches ménagères, (cuisine, vaisselle, ménage, lessive…), le départ pour le travail, le pointage, le déjeuner, le raccord de maquillage, les courses, l'achat de Tampax dans une pharmacie, jusqu'au retour de l'époux. Puis, se déroule la soirée avec entre autres le dîner, et enfin dans le lit conjugal, l'entreprise de séduction du mari plongé dans la lecture de son journal. Ce que vit cette femme est frustrant puisqu'elle rêve de l'arrivée d'un amant. Par ailleurs, Journiac met en scène, non sans ironie les fantasmes les plus contradictoires. Ceux-ci vont de la mariée à la veuve, de la mère allaitant son enfant à la prostituée, de la communiante à la strip-teaseuse en passant par la féministe. Il décline aussi un certain nombre de rêves de midinettes (être dans les bras d'un play-boy, devenir une cover-girl, une Reine…) et ayant l'art de brouiller les pistes, il se travestit en lesbienne, en femme travestie en homme, incarnant toujours les divers fantasmes. La mise en scène est parodique car l'artiste théâtralise, exagère ses gestes qui deviennent assez grotesques, excentriques, extravagants.
Cette œuvre confirme les propos volontairement critiques de Journiac qui dit : "vouloir la création comme une situation critique" [7]. En effet, il dénonce d'une part, cette vie dominée par la routine et la médiocrité, la banalité, la quotidienneté vécue par la femme et plus largement des milliers de gens. Il souligne le caractère sclérosant de cette vie conformiste, au rythme ralenti, monotone, monocorde où, à strictement parler, il ne se passe rien. L'enfermement dans des gestes répétitifs et minimaux, le remue-ménage quotidien sont épinglés patiemment par Journiac; d'où ses gestes particulièrement maniérés, appliqués voire exagérés. L'artiste suggère ainsi que le rituel est "ce qui caractérise toute activité sociale; nous sommes environnés, structurés par des rituels : rituel du repas, (…) rituel économique du vivre quotidien, du maquillage et du sexe défini socialement." [8] Et il insiste sur son caractère parfois asservissant : "Les rituels sociaux, travail, famille, patrie, bourgeoisie et prolétariat, homme et femme… s'érigent en trompe l'œil des oppressions." [9] D'autre part, l'artiste exaspère tous les clichés, les stéréotypes de l'image sociale de la femme véhiculés par les différents magazines féminins [10]. Il s'agit bien de traduire les aspirations d'une certaine petite bourgeoisie, propre et lisse qui se complaît dans l'acceptation et l'asservissement aux principes de la société capitaliste occidentale prônant le travail, la famille et le confort domestique. Par ailleurs, il révèle peut-être la dimension aliénante, subalterne et soumise des actions domestiques effectuées par la femme, induisant ainsi une misogynie encore prégnante dans cette société phallocrate, où le mâle est parti prenant. L'artiste critique également le fait que la femme ne soit qu'objet de désir, qu'elle soit condamnée à plaire. Son apparence détermine sa condition, en revanche l'homme incarne le pouvoir. Journiac montre ainsi aux femmes combien elles sont piégées et aux hommes, ce qu'ils peuvent faire de celles qui se laissent duper. En se travestissant Michel Journiac remet aussi en cause les rôles et les conditionnements sociaux, sexuels dictés par un système normatif. En effet, en dénonçant une certaine oppression de la femme, cet artiste homosexuel exprime en miroir, le rejet de l'homosexualité qui, à l'époque, ne sort qu'exceptionnellement de la clandestinité, ou est traitée comme une maladie. Ainsi, Journiac a une vision particulièrement aiguë et douloureuse de la normalisation sexuelle. Incarnant la douleur des exclus, il revendique la liberté pour tous d'exister dans une réelle complexité. Il déplore cette répartition figée, contraignante des rôles dictée par les conventions sociales où tout est identifié sur fond de différence, et où notamment par le biais du vêtement, les hommes doivent avoir l'air viril et les femmes féminines.
Cette œuvre comprend un autre volet : les symboles vestimentaires de la femme tels que le porte-jarretelles, le slip, le gant, le soutien-gorge acrylisés, blancs (marquage du corps). Michel Journiac les a plastifiés car le corps travesti, l'est d'abord par les vêtements. En apparaissant ainsi, de personnalisés, ils deviennent neutres, de fétichisés, ils se font anonymes. La solidification renvoie les vêtements à un statut d'objets purs, les rend "immettables", dénonçant ainsi la société du paraître. [11]
Michel Journiac, 24 heures de la vie d'une femme ordinaire, novembre 1974
Les fantasmes : la cover-girl
Quel sort la société réserve-t-elle au corps ?
Dans le même esprit que Journiac, d'autres artistes contemporains se sont attaqués à la normalité factice du quotidien, en réalisant également des actions au caractère social et politique manifeste. Préférant la parodie à la révolte, ils critiquent efficacement un système trop satisfait de lui-même. Pour eux, l'ironie est l'arme privilégiée pour arracher les masques derrière lesquels nous nous cachons journellement. Dès 1966, le thème central des performances de Valie Export est la résistance à l'ordre patriarcal, à la domination de l'homme sur la femme et aux contextes sociaux traditionnels. Paul McCarthy critique le sexe féminin en tant qu'objet consommable en se travestissant, en mangeant puis en régurgitant de la viande crue et du ketchup avec lesquels il se barbouille (Meat cake, 1972). Depuis les années soixante-dix, Annette Messager interroge, elle aussi, le statut de la femme, en proposant une relecture des archétypes et des stéréotypes propres à l'image féminine (La jalousie, 1973). Et Les tortures volontaires (1972) critiquent les soins esthétiques ayant pour finalité de correspondre à un modèle esthétique normalisé véhiculé par la publicité, la presse féminine et les médias en général. Barbara T. Smith (Feed me, 1973) et Kiki Smith questionnent les règles, les valeurs, les interdits collectifs des relations entre les hommes et les femmes que notre société occidentale régit. Lors de sa performance Interior Schroll (Rouleau intérieur, 1975) durant laquelle elle extrait de son vagin un long texte qu'elle déroule et lit au public, Carolee Schneeman revendique son identité de femme ni passive, ni victime. Dans ses photographies telles que S.O.S. - Scarification Object Series (1974), Marxism and Art - Beware of Fascist Feminism (1977), et ses performances, Hannah Wilke affirme de façon agressive son identité féminine tout en s'efforçant de casser l'image de la femme-objet. C'est ainsi qu'elle apparaît le plus souvent nue, mais sans renoncer à certains artifices comme les talons-aiguilles (So, help me, Hannah, 1978-1984).
Ainsi, à travers ses actions, Michel Journiac pose et examine, les questions essentielles de l'existence. Il nous incite à analyser notre participation au monde et en cela à modifier les schémas de pensée et les automatismes sociaux, les conditionnements idéologiques de tous bords et les aliénations de toutes natures. Il désapprouve cette société patriarcale où la rationalité aboutit au triomphe du mécanique sur l'organique, réprimant en nous l'instinct de vie. L'artiste épingle les gestes stéréotypés, conformes et quotidiens imposés par les conventions sociales. Il tente ainsi de nous renvoyer à nos responsabilités et à notre autonomie; et nous invite à être nous-mêmes en cultivant nos différences, car la liberté est dans l'acceptation de soi et de l'autre. La pensée de Journiac est rebelle à toute classification et impitoyable dans sa dénonciation des sectarismes. Subversif, son travail est stimulateur de réflexion sociale. La question primordiale est pour lui de savoir quel sort la société réserve au corps. Son exigence de la pensée et de l'action sans cesse en mouvement confère à son art, une présence nouvelle au monde. Journiac tente de réaliser ce que Joseph Beuys proposait, à savoir que, dans son œuvre, l'artiste devienne un sculpteur du social.
Julia Hountou, Paris, juillet 2007
Michel Journiac, 24 heures de la vie d'une femme ordinaire, novembre 1974
L'enlèvement
[1] Entretien inédit de Michel Journiac par le magazine hebdomadaire Marie-Claire, 1973-1974.
[2] En 1974, Journiac en compagnie de Gina Pane, François Pluchart, Hervé Fischer, Jean-Paul Thénot, Fred Forest et Joan Rabascall et d’autres ont tenu la première réunion tentant de définir l’art sociologique. Si Journiac n’a finalement pas adhéré à ce mouvement, il définit son art corporel comme critique et sociologique. A ce sujet lire : « Dix questions sur l’art corporel et l’art sociologique - débat entre Hervé Fischer, Michel Journiac, Gina Pane et Jean-Paul Thenot - Paris - le 18 novembre 1973 », arTitudes International, n° 6/8, décembre 1973 - mars 1974, p. 4-16.
[3] En Autriche, les Actionnistes viennois (Günter Brus, Rudolf Schwarzkogler, Hermann Nitsch et Otto Muehl) sont les initiateurs du mouvement. Leurs actions d’un exhibitionnisme brutal, imprégnées d’un rituel scatologique, fétichiste, sexuel et obscène tentent de libérer les pulsions et mettent en scène les comportements occultés par la société afin de contraindre le public à se mettre en cause.
Aux Etats-Unis, notamment avec Vito Acconci, Bruce Nauman, Denis Oppenheim, Chris Burden, apparaît, à partir de 1966, une série de travaux au sein de laquelle le corps semble désormais être la mesure de toutes choses : du langage, de l’espace, de la douleur comme des structures sociales.
En France, dans les années soixante-dix, Michel Journiac et Gina Pane utilisent leur corps qu’ils mettent en scène au cours d’actions, afin de dénoncer les tabous dont il est empreint et les répressions sociales auxquelles il est soumis.
[4] Michel Journiac fait tout d’abord, des études de philosophie et de théologie scolastique. Puis il se consacre à l’enseignement de l’esthétique. Au début des années soixante, il pratique une peinture qui mêle une facture expressionniste et des symboles abstraits aux couleurs sanguinolentes, où la chair est déjà évoquée de façon brutale. A partir de 1968, rejetant la tradition artistique esthétisante au profit d’une création ancrée dans la réalité quotidienne, il présente des installations puis réalise des actions.
[5] Jocelyne Hervé, « Les peintres parlent : Michel Journiac », Les Cahiers de la Peinture, n° 30, 1-15 février 1976, p. 6.
[6] Ils étaient d’ailleurs présents lors des prises de vue. Marcelle Fantel et Marie-Armelle Dussour, des amies de l’artiste ont pris les clichés. Cette œuvre photographique a été pensée, conçue et réalisée en vue de l’édition du livre intitulé 24 heures de la vie d’une femme ordinaire, publié aux éditions Arthur Hubschmid, en 1974, à Paris. Les photographies ont été présentées sur les murs de la galerie Rodolphe Stadler, du 7 novembre au 7 décembre 1974. Elles se succédaient selon l’ordre chronologique, respectant ainsi la suite narrative. Quarante-huit photographies en noir et blanc se succèdent, créant ainsi une suite narrative relative aux tâches quotidiennes d’une femme ordinaire. La série se subdivise en deux parties : vingt-huit clichés pour la réalité et vingt pour les fantasmes.
[7] Michel Journiac, 24 h de la vie d’une femme ordinaire, Paris, ed. Arthur Hubschmid, 1974, n. p.
[8] Michel Journiac, op. cit., n. p.
[9] Michel Journiac, « Six propositions interrogatives », Opus International, avril 1975, n° 55, p. 47.
[10] Michel Journiac a d’ailleurs accordé un entretien inédit à Marie-Claire, en 1973-1974.
[11] Vingt ans après, en 1994, Michel Journiac travesti en bourgeoise réactualise la série de 1974, en reprenant quatre photographies de la première série (le trottoir, la vaisselle, le ménage, le couple) et en ajoutant quatre nouvelles images (le musée, le portrait, le piano, le gigolo) Ces clichés en noir et blanc sur carton plume de 110 x 90 cm sont conservées au F.R.A.C. Rhône-Alpes.
Publié dans Lunes (Réalités, Parcours, Représentations de Femmes), n° 15, avril 2001, pp. 66-71.
Voir aussi mon texte sur le site Exporevue
GINA PANE OU L'ART CORPOREL D'UNE PLASTICIENNE - PROPOS DE JACQUELINE CHAILLET & MARCEL COHEN RECUEILLIS PAR JULIA HOUNTOU
Gina Pane ou l'art corporel d'une plasticienne - Propos de Jacqueline Chaillet et Marcel Cohen recueillis par Julia Hountou
Gina Pane. Action Laure, 1977 © Galerie Isy Brachot, Bruxelles
GINA PANE - ENTRETIEN ENTRE CHRISTINE DUCHIRON-BRACHOT ET JULIA HOUNTOU
Propos recueillis par Julia Hountou publié dans FLUX NEWS, n° 38, juillet-septembre 2005
Comment avez-vous découvert Gina Pane ?
J'ai découvert Gina Pane chez Christiane Germain, lors du vernissage de l'exposition L'oreille de Van Gogh, en 1976. Elle s'intéressait à l'art contemporain qu'elle collectionnait et exposait. En 1975, Rodolphe Stadler a présenté dans sa galerie de la rue de Seine l'exposition sur l'art corporel, organisée par François Pluchart. Les artistes exposés étaient Vito Acconci, Chris Burden, Dennis Oppenheim, Gina Pane, Michel Journiac, Urs Lüthi, Katharina Sieverding, Günter Brus, Otto Muehl, Hermann Nitsch, Rudolf Schwarzkogler, etc. Ayant moi-même ouvert ma galerie en 1975, à Bruxelles et désirant promouvoir l'art contemporain, j'ai présenté à mon tour, en 1977, l'art corporel en collaboration avec François Pluchart. C'est, selon moi, un mouvement qui a marqué le domaine artistique en influençant un grand nombre d'artistes contemporains. La plupart des artistes de cette époque étaient présents dans l'exposition : Michel Journiac, Urs Lüthi, Luigi Ontani, Jürgen Klauke, des artistes américains et allemands ainsi que Gina Pane. Depuis cette période, nous ne nous sommes plus quittées, elle et moi, jusqu'à ce qu'elle disparaisse. Si j'ai exposé différents artistes de l'art corporel, Gina Pane est la seule qui ait fait une Action (Laure, le 28 avril 1977) dans ma galerie, parce qu'elle était pour moi une artiste très importante qui se distinguait par sa poésie et son exigence.
Qu'est-ce qui vous a touché, interpellé dans la démarche de Gina Pane ?
Beaucoup de choses. J'ai vite compris que c'était une artiste qui touchait à des problématiques essentielles. Sa façon d'utiliser son corps comme langage, comme expression était étonnante. Sa grande sensibilité aussi, son intelligence, sa justesse, son authenticité et sa spiritualité m'ont profondément marqué. Elle avait une conscience de la préciosité de la vie. Avec Gina, on parlait de la vie et de l'amour.
Quels rapports aviez-vous avec Gina Pane ? Y avait-il une grande complicité entre vous ?
Oui, nous étions proches. Nos rapports étaient basés sur la confiance, tant sur le plan du travail que sur le plan amical. Elle a beaucoup compté pour moi. Nous avions l'une pour l'autre, un grand respect et une profonde amitié. J'étais souvent dans ses confidences personnelles, artistiques et dans ses doutes. En 1979, elle a arrêté ses Actions parce qu'elle avait tout dit et ne voulait pas se répéter. Ce moment a été difficile car elle se posait beaucoup de questions quant au choix des matériaux et à sa manière d'exprimer sa créativité. Mais très vite, elle a trouvé un nouveau mode d'expression qu'elle a appelé ses Partitions. Cette transition a été passionnante à partager, à suivre, à vivre, mais parfois, douloureuse car elle a dû se battre pour s'imposer et se faire respecter. Le fait d'être une femme ne l'a pas aidée car elles étaient peu nombreuses à réaliser des performances. Nous avons lutté pour essayer de la faire reconnaître. Aujourd'hui, cela paraît peut-être évident, mais ça ne l'était pas de son vivant.
Vous souvenez-vous de bons moments passés avec elle, d'une ou deux anecdotes qui vous ont marqué ?
Tous les moments passés avec Gina étaient exceptionnels. Lors de son exposition en Allemagne (Petit Voyage. Oh ! Oh ! En couleurs – Partitions Actions, le 26 mars 1982, dans le cadre du festival Performance Zwei, au Künstlerhaus Bethanien – D.A.A.D., du 19 au 30 mars 1982), nous avons visité Berlin Est avant la chute du mur. Son regard sur cette ville était pertinent. Et quand je venais à Paris, nous nous arrangions pour nous voir. C'était impératif, nécessaire, indispensable. L'action Laure n'a fait que renforcer nos liens. Comme toujours, Gina a fait cette action avec toute son intelligence et sa finesse, en rapport avec le livre de Colette Peignot, la compagne de Georges Bataille, Laure. Celle-ci luttait pour la liberté, le respect et les droits de la femme. La connivence entre la démarche de Gina et l'écriture de Laure est manifeste. Sans être féministe, Gina souhaitait donner à la femme une ouverture et une possibilité d'accéder à sa propre créativité. Cette action me tient particulièrement à cœur pour des raisons personnelles. Elle est pour moi un hommage prémonitoire à ma fille Laure, qui avait le même prénom. Particulièrement moderne pour l'époque, Collette Peignot a été incomprise et en a beaucoup souffert. J'établie un lien avec ma fille qui a traversé la vie comme une étoile traverse le ciel. En plus, ma sœur est intervenue dans cette action. C'est la jeune fille aux cheveux blonds, habillée en blanc qui tient le plateau de fraises.
Gina Pane, Action Laure, 1977 © Galerie Isy Brachot, Bruxelles
Est-ce qu'avant de réaliser cette Action, Gina Pane vous en a parlé ?
Non, elle ne dévoilait pas son travail. Elle laissait à chacun la liberté d'interpréter et d'entrer dans son œuvre. La sachant perfectionniste, je lui faisais totalement confiance. Je la considérais comme un être érudit, et je n'avais aucune inquiétude quant à la profondeur et à la qualité de sa démarche. Elle travaillait énormément, lisait Artaud et Saint François d'Assise par exemple, qu'elle aimait beaucoup. En perpétuel questionnement, en constante recherche, elle avait toujours des petits carnets sur elle. Cette exigence ne l'empêchait pas d'être gaie et passionnée.
Ses Actions vous semblaient-elle lentes et longues ?
Même si ses performances pouvaient durer plus d'une heure, elles ne m'ont jamais paru longues. Et je n'en ai jamais ressenti d'ennui malgré leur lenteur. La richesse des images et les relations qu'elle établissait avec ses objets minutieusement choisis constituaient un puzzle qui me questionnait, m'interpellait véritablement. Dans l'Action Laure, je me souviens qu'assise sur un tabouret, elle se mouvait tel un pantin, et tapotait sa bouche en émettant des onomatopées ("aaah"). Elle illustrait ainsi l'incommunicabilité en tenant à la main un petit personnage articulé en bois. Cette scène était belle et forte.
Vous évoquez beaucoup la force de Gina Pane. Vous souvenez-vous de l'état dans lequel elle était avant et après son entrée en scène ?
À chaque fois, Gina logeait à la maison. Avant l'Action Laure, elle s'est habillée comme d'habitude avec sa chemise et son pantalon blancs. Elle avait besoin de se retirer pour se concentrer jusqu'au moment où elle entrait en scène, en état de quasi méditation. Après l'action, bien que fatiguée, elle répondait aux questions posées par le public, en restant attentive et disponible. Ensuite seulement, reconnaissant son épuisement, elle allait se reposer.
A l'issue de l'Action, Gina Pane se blessait la main avec une lame de rasoir. Est-ce que cela vous a heurtée ?
Cela ne m'a jamais heurtée. Cette femme dégageait une telle vérité et était tellement saine qu'il n'y avait rien d'ambigu. Sa démarche était si honnête que le fait de se blesser ne me dérangeait pas. La puissance de la signification des symboles qu'elle utilisait était troublante car son message résonnait en chacun de nous, en référence à un événement humain, social, culturel ou mondial. Elle était comme un "médium". A cette époque, la "blessure" de Gina était assez mal vécue. Pourtant, elle était toujours très délicate et avait un sens profond qui ne relevait pas d'un simple désir de se mutiler. Otto Muehl ou Hermann Nitsch par exemple, étaient selon moi, davantage dans l'excès.
Avez-vous le constat de l'Action Laure ?
Il me reste de l'Action Laure, le cahier que Gina m'a donné et qu'elle utilisait dans l'Action, ainsi que la lame de rasoir, la balle et l'avion. Sur deux pages du carnet, elle avait relevé des citations extraites des écrits de Laure qui ont été tâchées de son sang mais restent lisibles. Je possède aussi une des petites épingles amusantes que Gina portait toujours sur ses vêtements ainsi que la vidéo de l'Action qui n'a jamais été montrée.
Y avait-il une grande attention de la part du public ?
Ah oui ! Gina l'imposait par sa force et par sa présence. L'atmosphère de la galerie était électrique et l'intensité était redoublée par le silence, puisque comme dans la majorité de ses Actions, Gina ne parlait pas. Contrairement à d'autres performers de cette époque, elle dégageait une réelle puissance au cours de son Action semblable à un tableau qu'elle déroulait devant nous. Mystérieux, il nous interpellait par ses images, ses gestes et ses symboles qui faisaient sens. Rien n'était laissé au hasard. Gina avait comme d'habitude beaucoup préparé son action. Or, je me souviens qu'à un moment, un homme s'est levé en disant : "Mais qu'est-ce que cela signifie ? Quoi qu'il en soit, moi, je vais manger des fraises". Il a en effet mangé deux ou trois fraises qui se trouvaient dans l'assiette tenue par ma sœur. Cette petite anecdote apparaît dans la vidéo. Comme la tension était très soutenue, c'était pour lui qui était mal à l'aise, une façon de la faire redescendre. Si cet acte provocateur ou libérateur a fait rire certains spectateurs, Gina quant à elle, n'a pas été troublée et a continué son action en restant très concentrée. En fait, la provocation est tombée à l'eau. L'indifférence était la meilleure réaction qu'elle pouvait avoir.
Le public était-il homogène ?
Isy, mon mari et moi, partagions la galerie. Il occupait le rez-de-chaussée où il exposait des œuvres surréalistes de René Magritte, Paul Delvaux, et autres. J'occupais l'étage supérieur où je présentais des œuvres beaucoup plus avant-gardistes. Comme mon espace ne se prêtait pas bien à l'action de Gina, mon mari lui a proposé de la réaliser dans sa galerie. L'action n'a pas été tellement choquante pour le public qui venait par le bouche à oreille, mais nettement plus, pour les clients habituels qui n'étaient pas informés de ce qui allait se passait. En fait, la majorité du public connaissait déjà l'art corporel et avait entendu parler de Gina. Il était donc préparé et conscient de la qualité de son travail, même si la blessure restait impressionnante. Différentes personnalités très pointues de l'art contemporain et quelques collectionneurs étaient présents : Flor Bex alors directeur de l'ICC, les critiques d'art François Pluchart et Jean Dypréau, le collectionneur d'art contemporain Herman Daled, l'artiste Stefan De Jeager et Charles Hirsch un scientifique proche de Panamarenko. Je me demande si Michel Journiac n'avait pas fait le voyage. Jean-Pierre Van Tieghem journaliste à le R.T.B. qui avait beaucoup aimé l'Action Laure a voulu la rencontrer pour s'entretenir avec elle.
Parmi les actions de Gina Pane que vous avez vues, y en a t-il une que vous préférez ?
Parmi toutes ses actions, Laure est, comme je vous l'ai dit, celle qui m'interpelle le plus parce qu'elle fait résonance en moi par rapport à mon histoire personnelle et correspond au début d'une collaboration qui a duré jusqu'à la disparition de Gina. Elle est un lien entre elle et moi. Little Journey était aussi très belle, dans les contrastes chromatiques, dans la confrontation de l'Occident et de l'Orient. Cependant, j'adhère à la globalité de son œuvre qui a une véritable unité même si chaque action a son intérêt, sa singularité.
Vous avez insisté sur la spiritualité de Gina Pane. En effet, à la fin de sa carrière, ses œuvres sont explicitement spirituelles, même si cette démarche est déjà présente dès le début. Avez-vous perçu une progression de sa spiritualité au fur et à mesure de votre relation et de sa propre évolution ?
Dans Situation idéale, Gina est comme un "Christ", dans la verticalité et l'ouverture. Cependant, elle n'exprimait pas sa spiritualité par la parole, elle la démontrait dans sa manière d'exister, comme un être éveillé qui affirme sa lucidité et son regard aimant à l'égard des autres. Ses œuvres sur les martyrs ne sont jamais tombées dans la "bondieuserie". Sa rigueur et sa grande fermeté ne laissaient pas d'ambiguïté. La blessure comme ses dernières œuvres étaient des signes, des symboles, dans la pureté de leur signification première. Son discours artistique n'a jamais débordé ; il était d'une justesse intellectuelle et historique incroyable.
Pensez-vous souvent à Gina Pane ?
Oui, la qualité de son être me manque. Lorsqu'elle était malade, je venais la voir dans son atelier près de Beaubourg. Courageuse bien qu'alitée, elle restait joyeuse, pétillante et intelligente. Gina m'a alors raconté une très belle histoire. Pendant les vacances, elle et son amie Anne étaient dans le Midi de la France, où se produisait Julio Iglesias qu'Anne adorait. Pour lui faire plaisir, Gina lui a dit : "Tu veux voir Iglesias ? Eh bien, tu vas le voir". Avec le culot et l'aplomb qu'avait Gina, elle s'est fait passée pour une journaliste afin d'accéder à la conférence de presse. A un moment, elle s'est levée et lui a dit de sa voix forte, les pieds bien plantés dans le sol, les mains sur les hanches : "M. Iglesias, quelle est votre attitude par rapport à l'art ?" Sa question tranchait totalement avec celles que posaient les journalistes du cru. Voilà, c'est le cadeau d'anniversaire que Gina a fait à son amie qui était aux anges. Ça, c'était Gina ! Et un jour alors que je l'accompagnais à l'hôpital à la fin de sa vie, elle me dit cette phrase magnifique : "Tu vois, Christine, maintenant je suis embarquée dans un avion mais j'aurais bien aimé être dans celui d'à côté". Au-delà de la simple relation artiste/galeriste, nous avons eu des échanges très intenses. Nous n'avons malheureusement pas vendu beaucoup d'œuvres de Gina mais nous avons fait un autre travail qui lui a permis d'être connue. Dans ma vie de femme, de marchand, à tous points de vue, ce fut une rencontre vraiment importante, enrichissante, fondamentale.
Gina Pane, Action escalade non anesthésiée, avril 1971. Photographies en noir et blanc sur panneau en bois, acier doux, 323 x 320 x 23 cm. Centre Pompidou, Musée National d’Art Moderne, Paris
GINA PANE, PAR JEAN-HUBERT MARTIN - PROPOS RECUEILLIS PAR JULIA HOUNTOU
Entretien entre Jean-Hubert Martin (1), Directeur général du Kunst Museum Palast - Düsseldorf et Julia Hountou (2), le 21 décembre 2004
Julia Hountou: Avez-vous assisté à des actions de Gina Pane?
Oui, bien sûr. Je suivais tout ce qui se passait à Paris. Je crois avoir assisté à l’action de Gina Pane intitulée Nourriture / Actualités télévisées / Feu (3) présentée chez les Frégnac. J’étais également présent lors des actions réalisées à la galerie Stadler à Paris (4). Je me souviens de la première intitulée Autoportrait(s) (5), où Gina Pane était couchée sur une structure métallique au-dessus de bougies allumées. Elle s’incisait l’intérieur de la bouche lors de la seconde phase (« la contraction »), et à la fin, régurgitait du lait auquel se mêlait le sang de sa bouche blessée. Il y a ensuite eu l’action Psyché (Essai) (6) durant laquelle Gina se blessait les arcades sourcilières et se mettait un bandeau sur les yeux. Debout sur une structure métallique, la bouche ouverte, elle semblait dispenser un message silencieux, uniquement gestuel. A l’issue de l’action, elle jouait avec des balles. J’avais déjà vu des performances d’autres artistes. Je connaissais notamment les films de Vito Acconci (7) présentés à la galerie Ileana Sonnabend (8). Il y avait un véritable intérêt autour de l’art corporel défendu entre autres par François Pluchart qui dirigeait la revue Artitudes (9). J’ai rencontré Gina parce qu’elle avait demandé un rendez-vous avec le conservateur Pontus Hulten qui n’a pas pu la recevoir et m’a proposé de le faire à sa place. Gina avait ce côté très accrocheur et bagarreur. Elle savait très bien qu’elle pouvait provoquer un certain rejet, sa démarche étant difficile à faire passer. De plus, le fait d’être une femme accentuait les critiques à son égard. Mais elle ne s’arrêtait pas là, elle voulait absolument provoquer la rencontre et la discussion. Quand je l’ai rencontrée, elle m’a tout de suite captivé ; le courant est passé. Après nous nous sommes vus régulièrement. Nos relations sont devenues amicales. Gina était touchante et attachante. J’étais proche d’elle.
En 1979, à Beaubourg, j’étais présent lors de l’Action Mezzogiorno a Alimena III (10) dont je me suis occupé. Il y avait un monde fou! Nous avons dû laisser une partie du public à l’extérieur parce qu’il y avait trop de monde. Gina a eu un succès extraordinaire, beaucoup plus important que nous l’avions imaginé. J’ai également été la cheville ouvrière des cours sur la performance qu’elle y a donnés entre 1978 et 1979 (11). Jean-Louis Faure s’en est occupé, mais j’ai servi d’intermédiaire et fait en sorte que cela ait lieu au centre Georges Pompidou. Gina a pu réaliser ce cycle d’enseignement de la performance qui a eu un grand succès. Les jeunes gens et jeunes filles qui y ont participé étaient ravis. Gina en était très heureuse. Jean-Louis Faure qui suivait cela de près m’a dit que son enseignement était d’une très grande intensité et qu’il passait très bien. C’est la seule et unique fois qu’a eu lieu ce type de laboratoire de performance à Beaubourg. C’était tout à fait unique. Nous l’avons fait spécialement pour elle.
Plus tard, Marina Abramovic a fait la même chose au P.A.C. (12) à Milan, dont j’ai la responsabilité du programme artistique. Cette séance qui se déroulait sur deux soirées avec la collaboration de ses étudiants était extraordinaire. Les artistes qui s’impliquent personnellement et physiquement jusqu’à de telles limites, ne peuvent que fasciner les étudiants ou les disciples qui sont autour. Un peu plus tard, entre 1987 et 1990, quand je suis revenu en tant que directeur dans ce musée, j’ai acheté des oeuvres de Gina Pane après avoir discuté le choix avec elle.
J. H. : Vous reste-t-il une émotion ou un souvenir particulier par rapport à ses Actions?
Oui car on ne peut pas rester indifférent à ce genre de choses. Mes impressions étaient extrêmement fortes mais cependant mêlées. Je ressentais à la fois, des sentiments de rejet à la vue du sang, des régurgitations, des choses plutôt déplaisantes, et en même temps une fascination totale vis-à-vis d’un artiste qui fait cela, et particulièrement une femme. Son travail suscitait chez moi, des questions graves auxquelles je ne pouvais pas répondre. Pourquoi fait-elle cela ? Qu’est-ce que cela signifie ? Son travail pose des questions en relation à son vécu et à sa psychologie. Ce sentiment mélangé de gêne et de fascination était dû à l’intensité de l’action et à la souffrance exprimée qui peut s’inscrire dans un contexte chrétien. Il y avait chez Gina Pane une compassion énorme par rapport à l’ensemble des gens, à toute la jeune génération. Elle prenait les choses à coeur.
J. H. : Il y a un mélange en effet entre des motivations personnelles et une sorte de perméabilité au contexte historique, aux problèmes de l’époque.
Plus qu’une perméabilité, car celle-ci existe toujours chez les artistes en général. Je dirai que Gina Pane prenait en compte la réalité que nous vivions tous ensemble à ce moment-là et qu’elle l’intériorisait de telle manière que cela ressortait dans ses actions d’une façon incroyablement violente. Son hypersensibilité était fascinante ; c’est d’ailleurs, le propre de l’artiste. Celui-ci vit les événements de manière tellement sensible que cela ressort dans son travail d’une façon troublante, qui ne laisse personne indifférent. Dans les actions silencieuses de Gina Pane, sans savoir ce qui allait se passer, nous pensions qu’il y aurait de toute façon de la violence et de la souffrance. L’intensité et la gravité étaient telles que personne parmi le public ne prenait son travail à la légère ou de manière superficielle.
J. H. : Avez-vous tout de suite « adhéré» à sa démarche qui été incomprise par beaucoup de gens?
Personnellement, les sentiments mêlés dominaient jusqu’au jour où je l’ai rencontrée. Je dois dire que j’ai vraiment été fasciné par sa personnalité. Elle était auparavant une énigme pour moi. Après avoir vu ses actions directement ou indirectement en photo ou en film, ce qui ressortait, c’était encore une fois cette violence et cette souffrance. Mais ce qui m’a totalement étonné, c’est quand elle m’a expliqué que tout son travail était composé d’une manière strictement esthétique et artistique. Toutes les couleurs étaient calculées et avaient leur place bien définie. Sur ses petits scripts dessinés relatifs à la préparation de ses actions, tous les cadrages étaient indiqués. A chaque fois, la scène était composée comme une image ou un tableau. Gina envisageait ses actions en référence à la peinture, à la forme et à la couleur. Elle disait très souvent que lorsqu’elle se blessait, elle révélait le sang, mais surtout la couleur rouge. Ce qui comptait pour elle, c’était le trait rouge. J’étais totalement interpellé par le fait qu’elle puisse aller aussi loin dans ses actions, tout en gardant comme condition première de composer des images. Son travail était d’une grande précision. Par ailleurs, je me souviens que nous avons beaucoup parlé du suprématisme et du constructivisme russe parce qu’à cette époque, en 1977-1978, je préparais une exposition sur Malevitch au centre Pompidou. (13) C’est un mouvement qu’elle connaissait bien, ayant lu un certain nombre de textes à ce sujet. Travaillant sur l’histoire de l’art, j’étais content de voir que mes projets stimulaient les artistes. J’ai trouvé cela formidable avec Gina dont le travail a un caractère minimaliste. J’ai été vraiment troublé par la complexité de sa personnalité, c’est-à-dire tout le mystère qui émanait d’elle. Gina Pane était capable d’intérioriser l’oppression d’une population, de la retravailler et de la restituer. J’ai alors pensé aux martyrs, aux saints de la tradition chrétienne, interprétation qui m’est apparue tout à fait justifiée quelques années plus tard (à partir de 1983) quand elle a réalisé des oeuvres en référence aux saints (14). Cette dimension existe également chez Joseph Beuys. La société occidentale semblait avoir besoin de faire passer ses crises et ses douleurs à travers la stigmatisation d’artistes ou de personnages qui prennent tout cela à leur compte et à leur charge. C’est d’autant plus étonnant que nous étions dans le contexte des années 1970, du post-68, où la pensée marxiste dominait, en référence au matérialisme. Nous vivions ces phénomènes artistiques qui ne collaient pas à la pensée marxiste, bien que Gina avait une conscience tout à fait de gauche. Cette pensée dominait, du moins dans notre groupe social; nous ne pouvions pas y échapper.
J. H. : Vous rappelez-vous avoir eu ce type de discussion avec elle ?
Bien sûr mais pas sur la pensée marxiste en tant que telle. Nous partagions les mêmes analyses sur l’échec du capitalisme et d’une société totalement tournée sur la production et la consommation. Ce qui n’a pas beaucoup changé d’ailleurs.
J. H. : Y a-t-il une action, une oeuvre ou un moment de sa création (les actions dans la nature, les actions sur son corps ou ses dernières oeuvres) qui vous interpelle davantage ?
C’est la phase des actions sur son corps évidemment qui est la plus fascinante pour l’ensemble des spectateurs me semble-t-il. Cependant tous les artistes qui travaillent avec leur corps connaissent à un moment, le besoin de changer d’expression. C’est également le cas de Marina Abramovic qui est passée à des pièces moins physiques, plus extérieures. L’intensité est alors différente pour le spectateur. Vers 1980-82, Gina Pane a réalisé des installations (15) puis à partir de 1983, elle a travaillé sur les martyrs des saints qui rejoignaient d’une certaine manière sa démarche corporelle des années 70. Gina ne l’a sans doute jamais réellement su, mais je voulais qu’elle fasse quelque chose d’important à Beaubourg. Je pensais à une exposition avec des actions.
J. H. : Quels termes emploieriez-vous pour qualifier la personnalité, le tempérament de Gina Pane?
Ayant eu l’occasion de discuter avec elle, je me suis rendu compte qu’elle était réfléchie, toujours très engagée et passionnée dans ses rapports avec les autres lors de discussions qui suscitaient beaucoup d’émotion. Elle avait aussi une grande exigence, un désir de perfectionnement et de dépassement. Malgré son ego d’artiste, elle faisait preuve d’une incroyable générosité et d’une grande ouverture aux autres. On constate dans son travail qu’elle était aussi très perméable à toutes les situations sociales et politiques qu’elle pouvait vivre. Ce qui m’avait beaucoup frappé également, c’est qu’elle parlait souvent de ce que l’on qualifie aujourd’hui de jeunes des banlieues, des jeunes qui appartenaient à des milieux sociaux très différents de celui du milieu de l’art. Gina était très attentive à ces jeunes un peu défavorisés, venant du milieu ouvrier et non sensibilisés à l’art. Je me souviens l’avoir vu portant de grosses lunettes de soleil noires. C’était sa manière de s’identifier aux jeunes « loubards », de « s’encanailler » en quelque sorte. Cela se traduisait également dans sa manière de se tenir. Elle avait très souvent les mains dans les poches, dans une posture très décidée, volontaire, un peu autoritaire.
J. H. : Vous disiez qu’elle avait cette attention vis-à-vis des jeunes défavorisés. En fait, elle voulait que son art interpelle, parle à tout le monde. Elle revendiquait une sorte de don de soi à travers ses actions.
Absolument, elle vivait tout avec compassion, d’une manière extrêmement épidermique. Elle travaillait tellement en direct avec l’émotion et la sensibilité qu’elle pouvait toucher un très large public. Il y avait une plurisémie dans son langage artistique (blessure, conscience sociale et politique, mysticisme, etc.), comme chez les artistes d’une certaine richesse. C’est ce qui en fait l’intérêt. Cependant, son travail n’était pas accepté si facilement. Par exemple, Pontus Ulten, que j’appréciais énormément et qui avait une grande ouverture d’esprit, était réticent à sa démarche parfois dérangeante.
J. H. : Est-elle une artiste importante pour vous?
Bien sûr, très importante mais je considère qu’elle n’est pas reconnue à sa juste valeur. En plus, elle est malheureusement morte trop tôt. Notre travail dans les musées consiste justement à maintenir l’information et la diffusion des connaissances sur des artistes de ce type qui ont une place encore trop faible sur le marché. Ben dit de nous les conservateurs que nous sommes « les redresseurs de tort. » C’est un peu vrai. Nous avons toujours un travail à faire dans ce sens, mais nous sommes obligés dans les grands musées de pondérer nos programmes.
J. H. : Avez-vous une idée de la raison pour laquelle elle n’est pas encore assez représentée dans les institutions ?
Dans les années 1970, c’était très difficile pour tous les artistes. Beaucoup de sa génération n’étaient pas plus achetés qu’elle. En plus, à cette époque, Gina était trop jeune pour les musées qui ne promouvaient pas les jeunes artistes, contrairement à aujourd’hui. Si on voulait percer internationalement, il fallait être représenté par Sonnabend, la galerie d’avant-garde au début des années 1970. A cette époque (vers 1969), je fréquentais beaucoup l’avant-garde (Christian Boltanski, Jean Le Gac, Sarkis, etc.) Gina avait d’ailleurs participé à une exposition avec ces artistes à l’American Center boulevard Raspail (16). Après, elle n’a plus fait partie de ce réseau qui la connaissait pourtant très bien. Elle a rejoint le groupe de François Pluchart qui défendait l’art corporel. Gina était connue pour ses actions, mais elle s’est retrouvée dans un relatif isolement à cause de ce phénomène de fascination et de rejet qu’elle suscitait. Aussi s’est-elle beaucoup battue afin d’atteindre une certaine notoriété. À partir des années 80, elle a commencé à exposer dans différents musées. D’ailleurs, le centre Georges Pompidou possède plusieurs oeuvres (17) d’elle ainsi que certains F.R.A.C. (18)
J. H. : Vous-même, possédez-vous des oeuvres de Gina Pane dans votre musée?
Non, nous ne présentons pratiquement pas d’artistes français. Mon budget est extrêmement restreint et nous essayons plutôt de compléter, de faire des ensembles relatifs à l’art rhénan. Peut-être qu’un jour nous exposerons plus d’artistes français, mais pour l’instant nous n’en sommes malheureusement pas là.
1) Depuis le 1 er janvier 2000, Jean-Hubert Martin est directeur général du Museum Kunst Palast de Düsseldorf.
2) Julia Hountou a soutenu en 2007 une thèse de Doctorat en Histoire de l'art, à l'Université Paris I - Panthéon-Sorbonne, intitulée Les actions de Gina Pane de 1968 à 1981 : de la fusion avec la nature à l'empathie sociale.
Critique d’art, enseignante et commissaire d’expositions, Julia Hountou est responsable de la Galerie du Théâtre du Crochetan en Suisse. Docteure en histoire de l’art contemporain, pensionnaire à l’Académie de France à Rome - Villa Médicis (2009-10), elle a enseigné dans diverses universités et écoles d’art. Commissaire indépendante d’expositions, elle organise depuis 2010 des expositions collectives et personnelles. Elle est également l’auteure de nombreux articles sur la création contemporaine.
Depuis 2000, elle publie dans des ouvrages collectifs, des catalogues d’expositions et des revues d’art.
www.juliahountou.fr
3) L’Action a eu lieu le 24 novembre 1971 à 18 h. 30, chez M. et Mme Frégnac, à Paris. Lors de cette Action, attablée Gina Pane ingérait six cents grammes de viande hachée crue; puis invitait le public à regarder les actualités télévisées du moment ; et éteignait avec ses pieds et ses mains des petits foyers allumés à même le sol.
4) La galerie Stadler a ouvert en 1955 au 51, rue de Seine – 75006 Paris. C’est le 11 janvier 1973 qu’a lieu pour la première fois à la galerie, une Action de Gina Pane (Autoportrait (s).)
5) L’Action a eu lieu le 11 janvier 1973, à partir de 19 h 30, à la Galerie Stadler, Paris.
6) L’Action a eu lieu le 24 janvier 1974, à «19 h 30 précises », à la Galerie Stadler, Paris.
7) En effet, la galerie Ileana Sonnabend montrait les principaux pionniers de l’art vidéo: Vito Acconci, John Baldessari, Lynda Benglis, Christian Boltanski, Hermine Freed, Nancy Holt, Paul Kros, Richard Landry, Bruce Nauman, Lawrence Weiner, Claes Oldenburg, Robert Rauschenberg, Ed Ruscha, Keith Sonnier, etc.
8) Iléana et Michael Sonnabend ouvrent leur première galerie à Paris en 1962 avec une exposition Jasper Johns. Suivront : Rauschenberg (1963), Oldenburg, Lichtenstein, Rosenquist, Warhol (1964), Segal. En 1965, installée 12 rue Mazarine (Paris VI ème), Iléana Sonnabend expose les artistes du Minimal Art (Morris, Flavin, etc.). De retour à New York en 1970, elle montre les nouveaux réalistes et les artistes de l’Arte Povera. En 1974 à Genève, ils exposent notamment Boltanski, Les Becher, Wegman, Webb.
9) François Pluchart, critique d’art et fondateur de la revue Artitudes créée en 1971, était l’un des plus fervents défenseurs de l’art corporel dans les années 70 et de Gina Pane en particulier dont il trouvait le travail en prise direct avec les problèmes essentiels de la société et de l’époque.
10) L’Action a eu lieu en janvier 1979, au Musée d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris.
11) Gina Pane, Processus de formation de la « performance», Cycle d’enseignement de la performance, au Centre Georges Pompidou, sur huit séances du 24/11/1978 au 02/02/1979. (Retranscription inédite faite par Julia Hountou.)
12) Padiglione d’Arte Contemporanea
13) Exposition Malevitch au Centre Georges Pompidou du 14 mars au 15 mai 1978.
14) Cette référence religieuse sera pleinement assumée par Gina Pane à partir de 1983, qui élabore alors des « icônes», de grands panneaux de bois, verre, cuivre, laiton qu’elle oxyde et martèle pour symboliser les stigmates des saints et les blessures des martyrs.
15) En effet, au début des années quatre-vingts, s’étant incisée toutes les parties du corps, Gina Pane cesse de se blesser. Ceci entraîne une mutation de son langage plastique : le corps n’est plus présent, il est représenté. Elle réalise alors des installations qu’elle nomme Partitions en agençant des séries de photographies des blessures de ses actions antérieures avec divers objets (jouets, verre, etc.) déjà présents dans ses actions.
16) Gina Pane a en effet réalisé l’Action Work in progress (Modification constante du sol), le 08 octobre 1969, de 12 h. à 20 h, au Centre culturel américain, dans le XIVème arrondissement de Paris.
17) Notamment: Escalade non-anesthésiée (Action réalisée par Gina Pane dans son atelier à Paris, en avril 1971). Autoportrait (s), (11 janvier 1973, galerie Stadler, Paris). Le corps pressenti, (Action réalisée le 2 mars 1975 à la galerie Krizinger, Innsbruck, Autriche.) François d’Assise trois fois aux Blessures stigmatisé - Vérification, version 1, 1985-87 (Triptyque en verre dépoli, en fer électrozingué repoussé et en fer rouillé, 169,6 x 198 x 2,2 cm.)
18) Fonds Régional d’Art Contemporain. Un certain nombre d’oeuvres de Gina Pane sont en effet conservées au FRAC des Pays de la Loire (La Fleuriaye, 44470 Carquefou).













ENTRE TERRE ET CIEL - GINA PANE, VAN GOGH ET ARTAUD
Julia Hountou, “Entre terre et ciel - Gina Pane, Van Gogh et Artaud”, Art Présence, n°50, avril-juin 2004, pp. 1-12
LETTRE À UNE INCONNU(E) - GINA PANE
LIVRE Lettre à un(e) inconnu(e) - Gina Pane
École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris
Recueil des écrits de Gina Pane, figure majeure de l’Art corporel.
Textes réunis par B. Chavanne, Julia Hountou et A. Marchand
Textes publiés ou dactylographiés, notes de travail, répartis en quatre sections (art, science, politique, quotidien), telles que définies par l’artiste elle-même. Pour puiser à la source l’ensemble de ses réflexions sur le corps, ses actions performatives, la douleur, l’art, etc.
— Auteurs : textes réunis par Blandine Chavanne, Julia Hountou et Anne Marchand
— Éditeur : École nationale supérieure des Beaux-arts, Paris
— Collection : Écrits d’artistes
— Année : 2004
— Format : 14 x 20,50 cm
— Illustrations : quelques, en noir et blanc
— Pages : 246
— Langue : français
— ISBN : 2-84056-147-6
— Prix : 18 €
Dans cet ouvrage, se trouvent deux grands types d’écrits : d’une part les textes achevés, d’autre part les notes, commentaires, réflexions qui sont le reflet de la pensée intime de l’artiste.
Nous avons regroupé dans une première partie, de façon chronologique, les textes publiés et datés. Les textes dactylographiés, achevés mais non publiés, sont ensuite regroupés, tout d’abord par ordre chronologique lorsqu’ils sont datés, puis en essayant d’établir une chronologie pour les autres.
La grande majorité des textes retrouvés relève plutôt de la note de travail.
Leur classement chronologique est très difficile. En effet Gina Pane s’attachant à approfondir sa démarche revenait souvent sur les mêmes thèmes à plusieurs années de distance.
Parfois en raison du contexte, il est possible de préciser la période concernée : ainsi tous les écrits liés à son enseignement au Mans se situent entre 1975 et 1990.
Cependant nous sommes plutôt en face d’un grand nombre de courts paragraphes, parfois de phrases isolées qui aidaient l’artiste à préciser sa pensée, à modifier un cours, à énoncer une idée.
Afin de ne pas la paraphraser, nous avons essayé de classer les écrits autour de quatre grandes notions que Gina Pane énonce en 1974 dans Lettre à un(e) inconnu(e):
» ART / SCIENCE / POLITIQUE / QUOTIDIEN. C’est mon propos « , explique-t-elle.
Ces chapitres nous permettent un éclairage nouveau sur les thèmes qui lui sont chers : ainsi nous avons regroupé dans le chapitre ART, les définitions que Gina Pane donne de son art, les écrits consacrés à l’action et enfin les généralités sur l’art et les artistes.
Dans SCIENCE, deux grandes parties couvrent d’une part les idées de Gina Pane sur l’enseignement et d’autre part ses réflexions sur le corps biologique/psychologique.
Dans POLITIQUE, nous découvrons les réflexions de l’artiste sur le monde et l’actualité.
Enfin dans QUOTIDIEN, nous avons regroupé ce qui concerne la famille, les réflexions personnelles, les objets et enfin les poèmes, qui reflètent avec beaucoup d’intensité l’univers personnel de Gina Pane.
(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions de l’Ensba)
L’artiste
Gina Pane, d’origine italienne, est née à Biarritz. Elle enseigne la peinture à l’école des beaux-arts du Mans de 1975 à 1990. En 1978, elle crée et anime un atelier de performance au Centre Georges-Pompidou. Elle décède à Paris en 1990.