INFORMER ET INTERPELLER : LES TITRES DANS LES ACTIONS DE GINA PANE
JULIA HOUNTOU, “INFORMER ET INTERPELLER : LES TITRES DANS LES ACTIONS DE GINA PANE”, in LA FABRIQUE DU TITRE, NOMMER LES OEUVRES D’ART (SOUS LA DIRECTION DE P. M. DE BIASI, M. JAKOBI, S. LE MEN) ÉD. CNRS, PARIS, 2012, 458 p.; pp. 319-346.
(Textes issus d'un séminaire de recherche ITEM-CNRS organisé entre 2007 et 2009)
RÉSUMÉ DE L’ARTICLE DE JULIA HOUNTOU, « INFORMER ET INTERPELLER : LES TITRES DANS LES ACTIONS DE GINA PANE » :
L’APPROCHE DES TITRES DES ACTIONS DE GINA PANE EST INTÉRESSANTE SOUS PLUSIEURS ASPECTS, ET NOTAMMENT EN RAISON DE LEURS LIENS PARFOIS COMPLEXES AVEC L’ŒUVRE ELLE-MÊME.
APRÈS UNE PRÉSENTATION DE L’ARTISTE ET DE SES PROCESSUS CRÉATIFS, NOUS ABORDONS L’ÉTUDE PROPREMENT DITE DES TITRES DE SES ACTIONS.
ILS ONT ÉTÉ CLASSÉS EN FONCTION DE LEURS AFFINITÉS ET DE LEUR INTENTIONNALITÉ SOUS-JACENTE.
ELÉMENTS CONSTITUTIFS DE L’ŒUVRE, MÉDIUMS ACTIFS ENTRE L’ARTISTE ET LE PUBLIC, LES TITRES DES ACTIONS DE GINA PANE EN EXPRIMENT LA SUBSTANCE ET CLARIFIENT SON INTENTION.
NOUS VERRONS COMMENT CERTAINS DE SES TITRES METTENT LE PROCESSUS D’ÉCHANGE EN ÉVIDENCE.
SI QUELQUES TITRES INTRIGUENT PAR LEUR CARACTÈRE ÉNIGMATIQUE, VOIRE PARADOXAL, NOUS ANALYSERONS COMMENT D’AUTRES EXPLICITENT CLAIREMENT LES ÉLÉMENTS FIGURANT DANS L’ACTION.
NOUS ÉTUDIERONS AUSSI LES SOUS-TITRES QUI DÉFINISSENT LES PHASES DE SES ACTIONS ET L’USAGE DES TITRES DE DIFFÉRENTES LANGUES.
NOUS CONSTATERONS QUE SI CERTAINS TITRES VARIENT PARFOIS EN FONCTION DE L’INTENTION DE GINA PANE, D’AUTRES PEUVENT SEMBLER « ERRONÉS ».
ENFIN, NOUS OBSERVERONS COMMENT LES TITRES-HOMMAGES PRENNENT LEUR SOURCE AUSSI BIEN DANS L’ACTUALITÉ QUE DANS LA CULTURE ARTISTIQUE DE LA PERFORMEUSE.
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JULIA HOUNTOU, “INFORM AND INTERPELLATE : TITLES IN GINA PANE’S ACTIONS”
TITLES’ APPROACH OF GINA PANE’S ACTIONS IS INTERESTING UNDER NUMEROUS ASPECTS, ANDNOTABLY IN REASON OF THEIR CONNEXIONS, SOMETIMES COMPLEXE, TOWARD THE WORK ITSELF.
AFTER A PRESENTATION OF THE ARTIST AND HER CREATION PROCESS, WE GET ONTO THE STUDY OF HER ACTUAL ACTIONS’ TITLES.
THEY HAVE BEEN CLASSIFIED ACCORDING TO THEIR AFFINITIES AND THEIR UNDERLYING INTENTIONALITY.
CONSTITUENTS’ ELEMENTS OF THE WORK, ACTIVE MEDIUMS BETWEEN THE ARTIST AND THE PUBLIC, GINA PANE’S ACTIONS’ TITLES EXPRESS THE SUBSTANCE AND CLARIFY HER INTENTION.
WE WILL SEE HOW CERTAIN OF HER TITLES HIGHLIGHT THE EXCHANGE PROCESS.
IF SOME TITLES INTRIGUE BY THEIR ENIGMATIC CHARACTER, OR EVEN NOT TO SAY, PARADOXICAL, WE WILL ANALYZE HOW OTHERS CLEARLY EXPLAIN THE ELEMENTS FEATURING IN THE ACTION.
WE WILL ALSO EXAMINE THE SUBTITLES THAT DEFINE HER ACTIONS’ PHASES AND THE USE OF DIFFERENT LANGUAGES IN TITLES.
WE WILL OBSERVE THAT IF SOME TITLES VARY AT TIMES, ACCORDING ON GINA PANE’S INTENTION, OTHERS MAY SEEM “ERRONEOUS”.
LASTLY, WE WILL REMARK HOW THE “HOMAGE-TITLES” TAKE THEIR SOURCE AS WELL IN THE ACTUALITY AS IN THE PERFORMER’S ARTISTIC CULTURE.
Merci Michel Vignard pour votre retour dans Art Press" :
"Pour terminer, nous dirons un mot du texte de Julia Hountou sur Gina Pane. Plasticienne du body art décédée en 1990, Gina Pane a parcouru toutes les formes de l’art, des plus traditionnelles jusqu’aux installations contemporaines qu’elle nommait d’un terme qui n’est pas sans rappeler les compositions de Kandinsky, « partition ». Ses titres peuvent désigner une succession de « moments » ou des situations différentes qui marquent un work in progress, comme dans Terre protégée I, II et III ou dans la série Projet du silence (du I au IV).
Ces œuvres sont accompagnées de commentaires rédigés en français, en italien, parfois en anglais, et peuvent être modulées d’une performance à l’autre. Si Death control (juin 1974) travaille à partir des derniers moments de la mère de l’artiste, Death control-Transit (23 janvier 1975), suggère plus explicitement par le mot transit un passage de la mort à la vie à travers le deuil mais aussi à travers l’universalité du passage de la vie à la mort. Ironie de l’histoire, les titres de Gina Pane retrouvent dans la nomination d’un instant la valeur originelle indicielle qu’ils avaient au 17e siècle pour accompagner le spectateur au cœur de l’expérience esthétique de l’œuvre."
https://www.artpress.com/2012/09/21/sens-ou-absence-du-titre/
Chris Rain
CHRIS RAIN OU LES REMINISCENCES D'UN UNIVERS FEERIQUE ET INQUIETANT
“Dans la lignée du cinéma expressionniste allemand et du surréalisme, à la lisière entre matérialité et fantastique, les photographies de Chris Rain touchent au domaine de l'impalpable. En multipliant les voiles pour mieux dissoudre le réel, effacer la réalité triviale des matières et des formes, l'artiste semble fixer ce qu'il rêve, et non ce qu'il voit. Dans ses images, fiction et fantasmes prennent corps. Tout semble possible. Objets (grues, lampadaires…) et animaux (méduses, poissons…) deviennent monumentaux et flottent dans l'espace. L'illusionnisme du photographe s'affirme.
Ses clichés témoignent de son goût pour la composition, la mise en scène et l'expérimentation. La dimension énigmatique et irréelle prédomine dans ses quatre séries photographiques Too many words, Every tree is broken, I am the snow, Glockenspiel Drama réalisées entre 2006 et 2011 exclusivement en noir et blanc. (…)
Braqué sur l'imaginaire et le rêve, l'objectif du photographe pointe et extrait d'un environnement apparemment uniforme et banal ce qui constitue une différence rendue sensible, tangible, née d'un imperceptible décalage qui ouvrirait notre perception à d'autres expériences. Ses photographies se composent souvent comme une suite de tableaux vivants empreints d'une forme de dramaturgie, d'univers tantôt enchanteurs, tantôt anxiogènes. Telles des poèmes, ses images peuvent se lire avec la riche, l'universelle langue de la métaphore et de l'association. Le recours à cet idiome mystérieux permet d'aborder la complexité du déchiffrement, en questionnant en filigrane les limites entre dicible et indicible, figuration et infigurable. Ce petit théâtre du quotidien offre un travestissement fantasmagorique de la réalité, une inquiétante et pourtant familière étrangeté. La poésie émane du réel qu'elle amène à reconsidérer. L'éblouissante féerie visuelle en noir et blanc de ces petits "contes" oniriques aux personnages intrigants déroute par sa singularité sombre et fascine par son lyrisme immanent. Ces images explorent les mondes du paradoxe et de l'illusion, en proposant au regard une devinette ambiguë qui perturbe le rationnel.”
Extrait du texte de Julia Hountou, curatrice de l’exposition
Dans le cadre de Label'Art 2011, Triennale d'art contemporain en Valais (Suisse), sur le thème de la différence, la Galerie du Crochetan (Monthey, CH) et le Musée de Bagnes (Le Châble, CH) ont le plaisir de présenter pour la première fois en Suisse, le travail photographique de Chris Rain.
• Theâtre du Crochetan : Rue du Théâtre 6 - 1870 Monthey (CH), 16 sept. - 03 nov. 2011. PDF programme, pp. 12-13
• Musee de Bagnes : Rue de Clouchèvre 30, 1934 Le Châble (CH), 1er oct.- 06 nov. 2011 Site : www.museedebagnes.ch
- Chris Rain ou les réminiscences d'un univers féerique et inquiétant, Galerie du Crochetan, Monthey, Suisse et au Musée de Bagnes au Châble (Suisse) avec l'artiste Chris Rain en interview : Voir le reportage sur YouTube / Exporevue / PUTSCH
Exposition dans le cadre de la Triennale d'art contemporain en Valais, 02 sept. - 23 oct. 2011 : TRIENNALE 2011 / Dossier de presse Triennale 2011
Chris Rain
Chris Rain
Chris Rain
Chris Rain
Chris Rain
PRESSE
AzartPhoto, n°13, p. 4
Square : PDF
Square, All. : PDF
Square, Espagnol : PDF
"Polyptyque - Alchimie", Profil, n°112, septembre 2011, pp. 42-47.
Exposition Chris Rain, Art Press, n°381, septembre 2011, p. 68 : Sommaire
Robert Hofer, Ecône, 30 juin 1988
ROBERT HOFER - INCERTAIN REGARD - INTROSPECTIVE D'UN PHOTOGRAPHE DE PROVINCE
Sous le titre Incertain regard - Introspective d'un photographe de province, cet ouvrage retrace la carrière photographique de Robert Hofer, des années 70 jusqu'à aujourd'hui, à travers trois cent soixante-et-une images sélectionnées par le photographe lui-même. Pudique, discret tant sur son travail que sur lui-même, il accepte ici de se dévoiler avec sincérité.
Au service de la photographie de presse depuis l'âge de vingt-deux ans, Robert Hofer, figure majeure du photo-journalisme valaisan, aujourd'hui âgé de cinquante-cinq ans, n'a pas son pareil pour capter le "spectacle" du Valais et jouit à ce titre d'une expérience incontestable. Son regard à la fois vif et espiègle se porte sur tout ce qui a trait à l'humain, ses contemporains, la politique, le sport, l'art… autant de champs d'observation que son objectif a visités, scrutés avec une curiosité et un enthousiasme intacts. En trois décennies d'activité, il a créé une incomparable documentation sur la vie valaisanne. Ses milliers d'images, recueillies à travers le canton mais également de par le monde, dépassent la simple valeur documentaire ; obéissant à une perspective d'ensemble, elles forment, plus encore qu'un témoignage unique, une œuvre exprimant une vision singulière.
Dans un souci de clarté et de lisibilité, l'itinéraire rétrospectif proposé dans ce livre s'organise en cinq chapitres consacrés chacun à un genre, des reportages aux variations photographiques en passant par le photo-journalisme et l'art du portrait. Cette classification thématique associe les clichés selon leurs tonalités apparentées ; elle favorise ainsi une approche synthétique des positions de Robert Hofer et offre un éclairage inédit sur la spécificité de son regard et de ses choix.
Dans le premier chapitre - Reportages, le photographe immortalise les grands événements du Valais par des récits imagés qui façonnent la mémoire collective du canton.
Dans le chapitre II - Portraits, son regard se pose sur les physionomies valaisannes dont il capte l'expérience d'un vécu, l'indice d'un parcours, les marques du caractère et de la tournure d'esprit.
Le chapitre III - Art constitue tant un hommage aux créateurs valaisans qui ont inspiré Robert Hofer, qu'une célébration de la création artistique dans son ensemble.
A travers le chapitre IV - Presse, c'est l'histoire socio-politique, économique, industrielle et sportive… des trente dernières années en Valais qui est relatée.
Enfin, dans le chapitre V - Variations, le photographe se montre observateur enjoué des détails du quotidien en focalisant sur l'animation des rues, des musées, des défilés, des stations balnéaires… La confrontation de ces problématiques permet, comme une variation sur un motif, de mettre en relief la diversité et l'originalité du traitement de chacune d'entre elles. Ces chapitres ne sont pas pour autant clos ; les frontières entre les différents thèmes ne sauraient être établies de façon formelle, rigide, en contradiction avec l'esprit même du photographe, qui prône l'ouverture, la liberté et ne refuse pas une certaine mixité des registres.
Le titre Incertain regard - Introspective d'un photographe de province choisi par Robert Hofer dit, sur un mode oscillant entre légèreté et gravité, son questionnement permanent. Comment porter un regard sur les autres ? Comment être témoin ? Comment saisir l'intensité des moments vécus ? Quelle distance adopter par rapport au sujet ? Comment rester pleinement soi-même tout en répondant à un travail de commande ? Ce sont là autant d'interrogations auxquelles il s'efforce de répondre avec honnêteté dans sa pratique quotidienne. Ce faisant, il invite le lecteur à l'accompagner dans sa quête, à s'interroger et, peut-être, à apporter ses propres réponses.
Jusqu'à aujourd'hui, Robert Hofer n'a jamais eu le loisir de se pencher sur ses photographies et de se livrer à ce travail de mémoire. Ce temps de pause privilégié lui permet de se réapproprier ses images, avec le désir de partager sa démarche réflexive et intérieure. Enfin, en se définissant comme un photographe de province, il témoigne une fois encore, non sans humour, de sa capacité à l'autodérision.
Afin d'appréhender au mieux la vocation et la carrière du photographe, l'ouvrage présente, en guise de prologue, des éléments biographiques essentiels à la compréhension des enjeux informatifs, artistiques et humains de son œuvre.
Julia Hountou, Suisse, février 2011
Extrait du texte de Julia Hountou, "Robert Hofer ou le regard attentif d'un chroniqueur assidu de la vie valaisanne", issu du catalogue Robert Hofer / Incertain regard / Introspective d'un photographe de province, Ed. du Musée de Bagnes, 2011, 223 pages, 361 photographies.
Exposition Robert Hofer / Incertain regard / Introspective d'un photographe de province, 02 juillet - 25 septembre 2011, Musée de Bagnes (Le Châble, CH), barrage de Mauvoisin (le 2e plus grand barrage voûte du monde) et sur les hauts de Verbier (CH). Sur papier, sur aluminium ou sur bâche, les photographies de Robert Hofer ont trouvé dans l’immensité et la splendeur du val de Bagnes (CH) un cadre à leur mesure.
Exposition Robert Hofer / Incertain regard / Introspective d'un photographe de province, 19 janvier - 04 mars 2012, Galerie de la Grenette - Galerie de la ville de Sion (CH).
Voir aussi sur Exporevue
Voir aussi Actuphoto
Voir aussi Abebooks
Robert Hofer, Le Président français François Mitterrand avec Pascal Couchepin, Martigny, 15 septembre 1989
Robert Hofer / Incertain regard / Introspective d'un photographe de province, Ed. du Musée de Bagnes, 2011, 223 pages, 361 photographies.
Texte : Julia Hountou, "Robert Hofer ou le regard attentif d'un chroniqueur assidu de la vie valaisanne"
Robert Hofer / Incertain regard / Introspective d'un photographe de province, Ed. du Musée de Bagnes, 2011, 223 pages, 361 photographies.
Texte : Julia Hountou, "Robert Hofer ou le regard attentif d'un chroniqueur assidu de la vie valaisanne"
ROME - VILLA MÉDICIS // ETC - REVUE DE L'ART ACTUEL
Julia Hountou, “Rome - Villa Médicis - Pascal Gautrand”, ETC - Revue de l’art actuel, février - mai 2011,
pp. 75-76 : PDF
GINA PANE. JE OU L'ARTISTE COMME PASSEUR ENTRE DEUX TERRITOIRES
L’Action JE a eu lieu le 11 août 1972, à 23 h 45, Place aux Œufs à Bruges, Belgique (avec la Galerie Arges, Bruxelles, Belgique).
Gina Pane a rédigé postérieurement à cette Action, le texte suivant :
«En plaçant mon corps sur le parapet de la fenêtre entre deux zones: l’une privée, l’autre publique, j’ai eu un pouvoir de transposition qui a brisé les limites de l’individualité pour que «JE» participe à «l’AUTRE».
Ainsi j’ai cherché à reconstituer l’union perdue et morcelée entre le moi et les autres. Mon travail vise à sauvegarder le multiple dans l’union.
La zone privée ici représentée par une famille dans ses attitudes quotidiennes a été révélée à l’autre en intervertissant l’ordre par:
– le truchement de l’intrus (moi)
– la retransmission de l’ambiance sonore distribuée par des hauts parleurs installés à différents angles de la Place aux Œufs (zone publique)
– les prises de vue du comportement de la famille réalisées par clichés polaroïd qui étaient ensuite distribués aux autres.
L’imagination pose et entretient ce rapport, favorisant les échanges, elle révèle la correspondance qui est le rapport de l’homme aux choses, à autrui, à lui-même, en allant à la rencontre de la mémoire qui a pour finalité d’instaurer l’oubli de la vie et n’en retenir que ce qui convient à la Société». (1)
Je se distingue des autres Actions corporelles de Gina Pane en ce qu’elle se déroule dans un lieu non spécifiquement dédié à l’art: le rebord d’une fenêtre entre l’appartement de particuliers et une place publique de Bruges. L’artiste se veut, comme en témoigne sa position « intermédiaire », le lien entre des humains que les notions d’intérieur et d’extérieur, de privé et de collectif ne sépareraient plus. Le désir ou le besoin de s’exprimer dans cet environnement opposé à l’espace clos d’une galerie ou d’un appartement traduit l’ouverture, la volonté de s’adresser au plus grand nombre. On note aussi que, contrairement aux autres Actions, la plasticienne n’a pas, ici, recours à la blessure.
Le cadre de cette Action est constitué de trois principaux éléments: une place de la ville, une fenêtre au deuxième étage de la façade d’un immeuble bordant cette place, et l’appartement privé que l’on devine derrière cette fenêtre. Soit: un espace public, un espace privé, un lieu de passage entre extérieur et intérieur marqué par la fenêtre. Sur la place sont disposées des tables et des chaises où est installé le public (passants occasionnels et initiés invités); Gina Pane se tient sur l’appui de la fenêtre dans une position instable, comme suspendue au bord du vide, avec pour seul point d’appui un châssis de bois. L’Action a lieu intentionnellement le soir, à la nuit tombée, ce qui implique une mise en lumière: un dispositif d’éclairage focalise l’attention du public sur la façade de l’immeuble et la fenêtre où se tient l’artiste que l’on voit de dos, dans une position d’observatrice regardant ce qui se passe à l’intérieur: la vie d’une famille. Elle occupe donc une position médiatrice entre ce qu’elle observe et les spectateurs qui, en bas sur la place, reçoivent par ailleurs un certain nombre d’informations par retransmission de l’ambiance sonore de la vie de cette famille, distribution de photographies Polaroïd – clichés réalisés préalablement à l’Action -, et lecture de cinq textes d’intérêt sociologique ou anthropologique. La plasticienne a écrit à ce sujet : « (ces informations) constituent dans le même temps les limites d’une clôture symbolique ayant pour résultat de représenter l’espace singulier où se tient l’artiste, l’espace de la concentration mentale». (2)
Un plaidoyer pour la diversité dans l’unité
En se tenant à la fois dedans et dehors, dans une position intermédiaire, Gina Pane signifie que «le dehors vient au-dedans, que l’intime est hors de soi» (3). C’est «l’extime» dont nous parle Lacan. «Nous n’avons pas d’autre intériorité que le monde. Cette façon d’être seul hostile à la solitude, (…) cette subjectivité vide qui appelle le monde comme complément nécessaire, (…) cet extérieur qui manque incessamment en soi, ce dehors désirable, (…) c’est très exactement celle de l’homme à sa fenêtre» (4), et de l’artiste à la fenêtre. Le «sujet à sa fenêtre (…), poursuit le psychanalyste, est un être de désir qui aspire au monde, que le monde aspire. C’est cet être qui (…) se penche dans l’espoir de rejoindre l’agitation en contrebas. (…) Il est cet être immobile, (…) qui a encore l’espoir que monte vers lui un regard, un appel qui l’appelle parmi les vivants». (5)
Cet appel, pour la plasticienne, nécessite une meilleure compréhension de l’autre, un partage, l’altruisme, pour favoriser le lien social et tendre à transformer les mentalités pour initier de nouveaux rapports entre les individus. Elle préconise le respect d’autrui, l’observation, l’écoute, l’échange et le dialogue. Sa démarche invite à trouver un juste équilibre entre la confiance en soi et la conscience des autres qui favorise l’ouverture à ceux-ci. Chacun a le choix d’adhérer ou non à sa proposition, dans la mesure où l’Action se déroule en extérieur, sur une place publique ouverte à la libre circulation.
Si son propos peut paraître utopique, il porte néanmoins en germe un humanisme auquel il n’est pas absurde de croire. La performeuse essaie de dessiner l’idéal d’un autre lien social, combinant la liberté de chacun et le respect mutuel reposant sur une autre forme de civilité. Un «nous» qui sache respecter les «je» dans leur liberté, leur singularité et leur identité complexe. Un lien qui puisse unir sans trop serrer.
Vivre ensemble implique de respecter la part de liberté de chacun, c’est-à-dire être libre ensemble. Ceci requiert un fin réglage entre proximité et distance, vie personnelle et vie commune, identité et altérité.
Texte rédigé à l’occasion de l’exposition Spazi Aperti: The Vagabond can’t Draw à l’Académie de Roumanie à Rome, qui s’est déroulé du 10 au 24 juin 2010. L’autrice Julia Hountou est Historienne de l’art et pensionnaire à l’Académie de France à Rome.
Note:
(1) Testo dattiloscritto redatto da Gina Pane dopo l’Azione, conservato negli archivi dell’artista, Parigi.
(2) Anne Tronche, Gina Pane – Actions, op. cit., p. 115
(3) Gérard Wajcman, Fenêtre – Chroniques du regard et de l’intime, op. cit., p. 468-469
(4) Ibidem, p. 468-469
(5) Ibidem, p. 468-469
Texte de Julia Hountou publié en 2010, en français, sur le site Luxflux - Arte contemporanea : : http://www.luxflux.net/gina-pane-translated/
NUMERO RIVISTA N° 38/2010
Pour citer cet article : Julia Hountou, « Gina Pane. Je ou l’artiste comme passeur entre deux territoires », Luxfflux - Art contemporanea, n°38, 2010, mis en ligne en 2010, URL : https://www.juliahountou.fr/blog/2024/9/5/gina-pane-je-ou-lartiste-comme-passeur-entre-deux-territoires et http://www.luxflux.net/gina-pane-translated/
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Gina Pane. Io o l’artista come traghettatore tra due territori
L’azione IO ha avuto luogo l’11 agosto 1972, alle ore 23:45 a Place aux Œufs, Bruges, in Belgio (con la Galleria Arges, Bruxelles, Belgio).
Gina Pane, a seguito di questa Azione, ha scritto il testo seguente:
“Mettendo il mio corpo sul davanzale della finestra tra due zone: una privata ed una pubblica, ho voluto esprimere un potere di trasposizione che ha infranto i limiti della individualità cosicché “IO” partecipa a “l’ALTRO”.
Ho cercato in questo modo di ricostruire l’unione perduta e frammentata tra il me e gli altri. Il mio lavoro mira a salvaguardare il diverso nell’unione.
L’area privata qui rappresentata da una famiglia nei loro atti quotidiani è stata rivelata agli altri trasponendo l’ordine per:
– l’ intercessione dell’intruso (me)
– la trasmissione dell’ambiente sonoro diffuso da amplificatori installati agli angoli di Place aux Œufs (area pubblica).
– le foto sulla condotta della famiglia scattate con la Polaroid e distribuite al pubblico.
L’immaginazione stabilisce e mantiene tale relazione, promuovendo lo scambio essa ne rivela la corrispondenza e cioè il rapporto dell’uomo con le cose, con il prossimo, con se stesso, andando incontro alla memoria che ha lo scopo di stabilire l’oblio della vita e di conservare solo ciò che è meglio per la Società”. (1)
IO si distingue dalle altre Azioni corporee di Gina Pane per il suo svolgersi in un luogo non specificamente dedicato all’arte: il davanzale della finestra tra l’appartamento privato e la piazza pubblica di Bruges. L’artista vuole, come dimostra la sua posizione “intermedia”, un legame tra gli uomini che il concetto di interiore ed esteriore, di privato e di collettivo, non separi oltre. Il desiderio o il bisogno di esprimersi in tale ambiente che si oppone allo spazio limitato di una galleria o di un appartamento, riflette l’apertura, la volontà di rivolgersi al più alto numero di persone. Vediamo inoltre che, a differenza di altre Azioni, l’arista non ricorre qui all’uso della rottura.
Il quadro di questa Azione si compone di tre elementi principali: una piazza, una finestra al secondo piano di una strada confinante con la piazza e l’appartamento privato che si può intuire dietro la finestra. Come dire: uno spazio pubblico, uno spazio privato e un luogo di transizione tra esterno ed interno delineato dalla finestra. Sulla piazza sono disposti dei tavoli e delle sedie dove il pubblico può accomodarsi (passanti occasionali o ospiti iniziati); Gina Pane è in piedi sul davanzale della finestra in una posizione precaria, come sospesa sul limite del vuoto, con un telaio di legno come unico sostegno. L’Azione si svolge volutamente la sera, al crepuscolo, e ciò coinvolge necessariamente la luce: un impianto di illuminazione focalizza l’attenzione del pubblico sulla facciata del palazzo e la finestra dove l’artista è vista da dietro nella posizione di osservatrice verso ciò che accade all’interno: la vita di una famiglia. Essa occupa dunque una posizione intermedia tra ciò che osserva e gli spettatori che, giù nella piazza, recepiscono una serie di informazioni sonore e visive, sul contesto di vita di tale famiglia, attraverso la distribuzione di Polaroid – scattate prima dell’Azione – e la lettura di cinque testi di interesse sociologico e antropologico. L’artista ha scritto in proposito: “[queste informazioni] sono allo stesso tempo i confini di una chiusura simbolica che ha come risultato la rappresentazione dello spazio singolare in cui l’artista si pone, lo spazio della concentrazione mentale”.(2)
Una difesa per la diversità nell’unità
Ponendosi in una volta sia all’interno che all’esterno, in una posizione intermedia, Gina Pane vuole significare che “l’esterno arriva dentro, che l’intimo è al di fuori di se stessi”. (3) È “la stima”, di cui parla Lacan. “Noi non abbiamo altra interiorità che il mondo. Questo modo di essere ostile alla solitudine, (…) questa soggettività vuota che reclama il mondo come complemento necessario, (…) questo esteriore che lascia sfuggire incessantemente se stesso, questo esteriore auspicabile, (…) è precisamente quello dell’uomo alla sua finestra” (4), e dell’artista alla finestra. Il “soggetto alla sua finestra (…), prosegue lo psicoanalista, è il desiderio in essere che aspira al mondo e che il mondo aspira. È questo essere che (…) si protende con la speranza di riunirsi al brusio di fondo. (…) È questo essere immobile, (…) che ha ancora la speranza che uno sguardo si posi su di lui, una chiamata che lo reclami tra i viventi”. (5)
Tale invito, per l’artista, necessita di una migliore comprensione reciproca, della condivisione, dell’altruismo, capaci di promuovere legami sociali e aspirare a trasformare la mentalità per avviare nuovi rapporti tra gli individui.
Gina Pane raccomanda il rispetto degli altri, l’osservazione, l’ascolto, lo scambio e il dialogo. Il suo approccio chiede di trovare un equilibrio tra la fiducia in se stessi e la consapevolezza degli altri, che incoraggi all’apertura verso il prossimo. Ognuno ha la facoltà di accettare o no la sua offerta, dal momento che l’Azione si svolge all’aperto, in un luogo pubblico dischiuso alla libera circolazione.
Se il suo proposito può sembrare utopistico, ciò nondimeno esso porta in nuce un umanesimo a cui non è assurdo credere. L’artista cerca di delineare l’ideale di un legame sociale altro, che unisca la libertà individuale e il rispetto reciproco basato su una nuova forma di civiltà. Un “noi” in grado di soddisfare gli “io” nella loro libertà, nell’individualità e nella loro complessa identità. Un legame che possa unire senza serrare troppo. Vivere insieme implica il rispetto della parte di libertà di ciascuno, vale a dire, essere liberi insieme. Questo richiede un fine perfezionamento tra vicinanza e distanza, tra vita personale e comunitaria, tra identità e alterità.
Testo scritto in occasione della mostra Spazi Aperti: The Vagabond can’t Draw presso l’Accademia di Romania a Roma, che si terrà dal 10 al 24 Giugno 2010. L’autrice Julia Hountou è Storica dell’arte / Borsista presso l’Accademia di Francia a Roma..
Note :
(1) Testo dattiloscritto redatto da Gina Pane dopo l’Azione, conservato negli archivi dell’artista, Parigi.
(2) Anne Tronche, Gina Pane – Actions, op. cit., p. 115
(3) Gérard Wajcman, Fenêtre – Chroniques du regard et de l’intime, op. cit., p. 468-469
(4) Ibidem, p. 468-469
(5) Ibidem, p. 468-469
Texte de Julia Hountou publié en 2010, en italien, sur le site Luxflux - Arte contemporanea : http://www.luxflux.net/gina-pane-io-o-lartista-come-traghettatore-tra-due-territori/
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English abstract
Gina Pane. I or the artist as travellers between two territories
by Julia Hountou
The action entitled I took place the 11th of August 1972, at 23:45 at Place aux Œufs, Bruges, in Belgium (in collaboration with Galleria Arges, Brussel, Belgium).
Io distinguishes itself among other corporeal by Gina Pane insofar a sit happened in a place not specifically dedicated to art: the windowsill of her apartment overlooking the public piazza of Bruges. As demonstrated by her “intermediary” position, the artist points to a connection between people that the concept of interior and exterior, private and collective cannot disjoin. The desire and the need to express herself in such an environment that opposes the limited space of a gallery or an apartment, reflects the aperture and the will to reach as many people as possible. Here, differently from other Actions, the artist doesn’t make use of rupture.
LE RÔLE DE L'AUTOPORTRAIT PERFORMATIF CHEZ GINA PANE
“Le rôle de l’autoportrait performatif chez Gina Pane” par Julia Hountou, pp. 63-74
Publié dans Visage et portrait. Visage ou portrait - Textes réunis par Fabrice Flahutez, Itzhak Goldberg, Panayota Volti, Ed. des Presses Universitaires de l'Université Paris Nanterre, 191 pages
24 HEURES DE LA VIE D'UNE FEMME ORDINAIRE - UNE PERFORMANCE DE MICHEL JOURNIAC
Le corps a été le matériau privilégié de l'expression artistique de Michel Journiac (1935-1995) dont l’action photographique 24 heures de la vie d'une femme ordinaire. L'artiste y dénonce le quotidien et les rituels sociaux asservissant qui s'imposent aux femmes mais aussi le piège qui enferme les hommes, comme il l'explique dans une interview inédite de 1974.
Michel Journiac, 24 heures de la vie d'une femme ordinaire, novembre 1974
La réalité : le raccord
"Je n'avais pas la prétention en m'habillant en femme pendant 24 heures de mettre à nu toute la complexité de la condition féminine. Je voulais plutôt illustrer un certain nombre de situations, les expérimenter avec mon propre corps, amener le public à se poser des questions, montrer aux femmes combien elles sont piégées et aux hommes, ce qu'ils peuvent faire d'une femme." [1]
Par cette déclaration faite en 1973/74, Michel Journiac nous informe sur la place qu'il accorde à la femme et plus généralement à l'individu dans la société. En effet, si cet artiste contemporain français né en 1935 et décédé en 1995, est connu comme l'un des principaux représentants de l'art corporel en France, sa pratique est totalement engagée dans le social [2]. Ses deux préoccupations majeures sont la situation de l'individu dans la société et l'insertion de l'artiste dans le schéma social.
Un art militant et en temps réel
Il faut garder présent à l'esprit que les recherches de Michel Journiac se situent à la fin des années 60, durant une période de contestation généralisée du pouvoir, des institutions, de l'esthétique, de la représentation, ou plus précisément à l'époque des bouleversements politiques et sociaux de Mai 68. Les révoltes étudiantes mais également la guerre du Viêt-nam, les problèmes de racisme et l'intérêt grandissant pour la psychologie et la sociologie sont à l'origine de cette crise profonde de toutes les sociétés occidentales. Les courants anti-hégémoniques redéfinissent les notions de pouvoir et de liberté. La nouvelle génération veut changer la société en améliorant la vie, sans attendre la lente évolution des institutions (Etat, Justice, Université, etc.). La révolte étudiante est pour beaucoup d'artistes qui veulent élargir le champ de l'œuvre d'art à une dimension socio-politique nouvelle, le catalyseur d'un espoir nouveau. En effet, ces derniers remettent en question un système artistique dépassé et espèrent la refonte générale des structures culturelles. Ils remettent en cause l'œuvre d'art dans ses fondements traditionnels comme objet unique, achevé, directement consommable et se situent au niveau de l'acte, en créant un art qui existe en temps réel et non en différé. Ces artistes développent d'autres modalités de créations comme la performance, scène d'une explosion d'expressions multiples et utilisent tout matériau jusqu'à leur propre corps. La vie même est devenue création. Ces années qui se caractérisent par une libération des moeurs impliquent la libération du corps, terriblement occulté jusqu'alors.
En effet, l'art corporel (Body art, en anglais) est, d'une certaine manière la conséquence de la réflexion que les événements sociaux des années soixante-dix ont provoquée. A présent, les artistes corporels [3] créent un art militant où la représentation ne suffit plus pour rendre compte de ce qu'est le corps et où il faut donc être physiquement présent pour réellement s'engager contre les tabous, les préjugés sociaux, l'exclusion des minorités. Dans ce contexte de remise en question généralisée, ces artistes emploient souvent leur corps qui peut être travesti, utilisé comme instrument ou unité de mesure, agressé et éprouvé jusqu'aux limites de la souffrance, exhibé, mis à l'épreuve de la concentration, de la résistance physique…
Ainsi, à partir de 1968, Michel Journiac [4] réalise des actions qui mettent en jeu le corps "considéré comme totalité de l'être." [5] C'est le matériel privilégié de l'expression artistique de Michel Journiac. Il est le sujet et l'objet de son œuvre, car c'est le médium le plus naturel qui soit et si l'on ose dire le plus immédiat pour s'exprimer et solliciter, encore plus directement, les sensations de celui qui regarde. C'est le lieu d'inscription de toutes nos expériences, là où se greffent et se nouent tous nos rapports au monde extérieur. L'artiste cherche avant tout à révéler le corps, à le mettre à jour. Il revendique sa matérialité avec ses composantes biologiques (chair, sang, os…), et ce qu'il implique (prééminence du désir, sexualité, ambiguïté sexuelle, mort, rapport au sacré, à la religion). De plus, en tant que travail du vivant sur le vivant, l'art de Journiac n'existe pas comme un secteur clivé et isolé; il est relié à l'existence tout entière de l'individu dans la société. Aussi s'il définit le corps à travers sa faculté d'échange, de communication, il dénonce également sa tendance à être occulté, opprimé, contraint, humilié, rejeté. Journiac soulève tous les problèmes qui permettent de cerner la question centrale du corps socialisé : ses liens de dépendance et sa recherche d'autonomie à travers des prises de conscience suscitées par l'artiste. Autrement dit, parallèlement à sa critique de l'activité artistique traditionnelle, Michel Journiac situe son travail par rapport à l'affirmation corporelle et par rapport aux données socio-politiques, de telle sorte que toute son activité se développe sous le triple aspect critique, corporel, sociologique (dans le sens d'une réflexion sociale).
Michel Journiac, 24 heures de la vie d'une femme ordinaire, novembre 1974
La réalité : la vaisselle
La quotidienneté banale et rituelle des gestes féminins
C'est dans l'action photographique 24 heures de la vie d'une femme ordinaire (novembre 1974, Galerie Stadler, Paris) que Michel Journiac se positionne explicitement par rapport à la place de la femme dans la société. Ici, l'artiste se travesti lui-même en femme et reproduit sur un mode réaliste la quotidienneté banale et rituelle des gestes féminins, en utilisant l'appartement de ses parents, dans le décor existant [6]. L'artiste mime les actes féminins depuis le réveil du mari en passant par l'exécution des tâches ménagères, (cuisine, vaisselle, ménage, lessive…), le départ pour le travail, le pointage, le déjeuner, le raccord de maquillage, les courses, l'achat de Tampax dans une pharmacie, jusqu'au retour de l'époux. Puis, se déroule la soirée avec entre autres le dîner, et enfin dans le lit conjugal, l'entreprise de séduction du mari plongé dans la lecture de son journal. Ce que vit cette femme est frustrant puisqu'elle rêve de l'arrivée d'un amant. Par ailleurs, Journiac met en scène, non sans ironie les fantasmes les plus contradictoires. Ceux-ci vont de la mariée à la veuve, de la mère allaitant son enfant à la prostituée, de la communiante à la strip-teaseuse en passant par la féministe. Il décline aussi un certain nombre de rêves de midinettes (être dans les bras d'un play-boy, devenir une cover-girl, une Reine…) et ayant l'art de brouiller les pistes, il se travestit en lesbienne, en femme travestie en homme, incarnant toujours les divers fantasmes. La mise en scène est parodique car l'artiste théâtralise, exagère ses gestes qui deviennent assez grotesques, excentriques, extravagants.
Cette œuvre confirme les propos volontairement critiques de Journiac qui dit : "vouloir la création comme une situation critique" [7]. En effet, il dénonce d'une part, cette vie dominée par la routine et la médiocrité, la banalité, la quotidienneté vécue par la femme et plus largement des milliers de gens. Il souligne le caractère sclérosant de cette vie conformiste, au rythme ralenti, monotone, monocorde où, à strictement parler, il ne se passe rien. L'enfermement dans des gestes répétitifs et minimaux, le remue-ménage quotidien sont épinglés patiemment par Journiac; d'où ses gestes particulièrement maniérés, appliqués voire exagérés. L'artiste suggère ainsi que le rituel est "ce qui caractérise toute activité sociale; nous sommes environnés, structurés par des rituels : rituel du repas, (…) rituel économique du vivre quotidien, du maquillage et du sexe défini socialement." [8] Et il insiste sur son caractère parfois asservissant : "Les rituels sociaux, travail, famille, patrie, bourgeoisie et prolétariat, homme et femme… s'érigent en trompe l'œil des oppressions." [9] D'autre part, l'artiste exaspère tous les clichés, les stéréotypes de l'image sociale de la femme véhiculés par les différents magazines féminins [10]. Il s'agit bien de traduire les aspirations d'une certaine petite bourgeoisie, propre et lisse qui se complaît dans l'acceptation et l'asservissement aux principes de la société capitaliste occidentale prônant le travail, la famille et le confort domestique. Par ailleurs, il révèle peut-être la dimension aliénante, subalterne et soumise des actions domestiques effectuées par la femme, induisant ainsi une misogynie encore prégnante dans cette société phallocrate, où le mâle est parti prenant. L'artiste critique également le fait que la femme ne soit qu'objet de désir, qu'elle soit condamnée à plaire. Son apparence détermine sa condition, en revanche l'homme incarne le pouvoir. Journiac montre ainsi aux femmes combien elles sont piégées et aux hommes, ce qu'ils peuvent faire de celles qui se laissent duper. En se travestissant Michel Journiac remet aussi en cause les rôles et les conditionnements sociaux, sexuels dictés par un système normatif. En effet, en dénonçant une certaine oppression de la femme, cet artiste homosexuel exprime en miroir, le rejet de l'homosexualité qui, à l'époque, ne sort qu'exceptionnellement de la clandestinité, ou est traitée comme une maladie. Ainsi, Journiac a une vision particulièrement aiguë et douloureuse de la normalisation sexuelle. Incarnant la douleur des exclus, il revendique la liberté pour tous d'exister dans une réelle complexité. Il déplore cette répartition figée, contraignante des rôles dictée par les conventions sociales où tout est identifié sur fond de différence, et où notamment par le biais du vêtement, les hommes doivent avoir l'air viril et les femmes féminines.
Cette œuvre comprend un autre volet : les symboles vestimentaires de la femme tels que le porte-jarretelles, le slip, le gant, le soutien-gorge acrylisés, blancs (marquage du corps). Michel Journiac les a plastifiés car le corps travesti, l'est d'abord par les vêtements. En apparaissant ainsi, de personnalisés, ils deviennent neutres, de fétichisés, ils se font anonymes. La solidification renvoie les vêtements à un statut d'objets purs, les rend "immettables", dénonçant ainsi la société du paraître. [11]
Michel Journiac, 24 heures de la vie d'une femme ordinaire, novembre 1974
Les fantasmes : la cover-girl
Quel sort la société réserve-t-elle au corps ?
Dans le même esprit que Journiac, d'autres artistes contemporains se sont attaqués à la normalité factice du quotidien, en réalisant également des actions au caractère social et politique manifeste. Préférant la parodie à la révolte, ils critiquent efficacement un système trop satisfait de lui-même. Pour eux, l'ironie est l'arme privilégiée pour arracher les masques derrière lesquels nous nous cachons journellement. Dès 1966, le thème central des performances de Valie Export est la résistance à l'ordre patriarcal, à la domination de l'homme sur la femme et aux contextes sociaux traditionnels. Paul McCarthy critique le sexe féminin en tant qu'objet consommable en se travestissant, en mangeant puis en régurgitant de la viande crue et du ketchup avec lesquels il se barbouille (Meat cake, 1972). Depuis les années soixante-dix, Annette Messager interroge, elle aussi, le statut de la femme, en proposant une relecture des archétypes et des stéréotypes propres à l'image féminine (La jalousie, 1973). Et Les tortures volontaires (1972) critiquent les soins esthétiques ayant pour finalité de correspondre à un modèle esthétique normalisé véhiculé par la publicité, la presse féminine et les médias en général. Barbara T. Smith (Feed me, 1973) et Kiki Smith questionnent les règles, les valeurs, les interdits collectifs des relations entre les hommes et les femmes que notre société occidentale régit. Lors de sa performance Interior Schroll (Rouleau intérieur, 1975) durant laquelle elle extrait de son vagin un long texte qu'elle déroule et lit au public, Carolee Schneeman revendique son identité de femme ni passive, ni victime. Dans ses photographies telles que S.O.S. - Scarification Object Series (1974), Marxism and Art - Beware of Fascist Feminism (1977), et ses performances, Hannah Wilke affirme de façon agressive son identité féminine tout en s'efforçant de casser l'image de la femme-objet. C'est ainsi qu'elle apparaît le plus souvent nue, mais sans renoncer à certains artifices comme les talons-aiguilles (So, help me, Hannah, 1978-1984).
Ainsi, à travers ses actions, Michel Journiac pose et examine, les questions essentielles de l'existence. Il nous incite à analyser notre participation au monde et en cela à modifier les schémas de pensée et les automatismes sociaux, les conditionnements idéologiques de tous bords et les aliénations de toutes natures. Il désapprouve cette société patriarcale où la rationalité aboutit au triomphe du mécanique sur l'organique, réprimant en nous l'instinct de vie. L'artiste épingle les gestes stéréotypés, conformes et quotidiens imposés par les conventions sociales. Il tente ainsi de nous renvoyer à nos responsabilités et à notre autonomie; et nous invite à être nous-mêmes en cultivant nos différences, car la liberté est dans l'acceptation de soi et de l'autre. La pensée de Journiac est rebelle à toute classification et impitoyable dans sa dénonciation des sectarismes. Subversif, son travail est stimulateur de réflexion sociale. La question primordiale est pour lui de savoir quel sort la société réserve au corps. Son exigence de la pensée et de l'action sans cesse en mouvement confère à son art, une présence nouvelle au monde. Journiac tente de réaliser ce que Joseph Beuys proposait, à savoir que, dans son œuvre, l'artiste devienne un sculpteur du social.
Julia Hountou, Paris, juillet 2007
Michel Journiac, 24 heures de la vie d'une femme ordinaire, novembre 1974
L'enlèvement
[1] Entretien inédit de Michel Journiac par le magazine hebdomadaire Marie-Claire, 1973-1974.
[2] En 1974, Journiac en compagnie de Gina Pane, François Pluchart, Hervé Fischer, Jean-Paul Thénot, Fred Forest et Joan Rabascall et d’autres ont tenu la première réunion tentant de définir l’art sociologique. Si Journiac n’a finalement pas adhéré à ce mouvement, il définit son art corporel comme critique et sociologique. A ce sujet lire : « Dix questions sur l’art corporel et l’art sociologique - débat entre Hervé Fischer, Michel Journiac, Gina Pane et Jean-Paul Thenot - Paris - le 18 novembre 1973 », arTitudes International, n° 6/8, décembre 1973 - mars 1974, p. 4-16.
[3] En Autriche, les Actionnistes viennois (Günter Brus, Rudolf Schwarzkogler, Hermann Nitsch et Otto Muehl) sont les initiateurs du mouvement. Leurs actions d’un exhibitionnisme brutal, imprégnées d’un rituel scatologique, fétichiste, sexuel et obscène tentent de libérer les pulsions et mettent en scène les comportements occultés par la société afin de contraindre le public à se mettre en cause.
Aux Etats-Unis, notamment avec Vito Acconci, Bruce Nauman, Denis Oppenheim, Chris Burden, apparaît, à partir de 1966, une série de travaux au sein de laquelle le corps semble désormais être la mesure de toutes choses : du langage, de l’espace, de la douleur comme des structures sociales.
En France, dans les années soixante-dix, Michel Journiac et Gina Pane utilisent leur corps qu’ils mettent en scène au cours d’actions, afin de dénoncer les tabous dont il est empreint et les répressions sociales auxquelles il est soumis.
[4] Michel Journiac fait tout d’abord, des études de philosophie et de théologie scolastique. Puis il se consacre à l’enseignement de l’esthétique. Au début des années soixante, il pratique une peinture qui mêle une facture expressionniste et des symboles abstraits aux couleurs sanguinolentes, où la chair est déjà évoquée de façon brutale. A partir de 1968, rejetant la tradition artistique esthétisante au profit d’une création ancrée dans la réalité quotidienne, il présente des installations puis réalise des actions.
[5] Jocelyne Hervé, « Les peintres parlent : Michel Journiac », Les Cahiers de la Peinture, n° 30, 1-15 février 1976, p. 6.
[6] Ils étaient d’ailleurs présents lors des prises de vue. Marcelle Fantel et Marie-Armelle Dussour, des amies de l’artiste ont pris les clichés. Cette œuvre photographique a été pensée, conçue et réalisée en vue de l’édition du livre intitulé 24 heures de la vie d’une femme ordinaire, publié aux éditions Arthur Hubschmid, en 1974, à Paris. Les photographies ont été présentées sur les murs de la galerie Rodolphe Stadler, du 7 novembre au 7 décembre 1974. Elles se succédaient selon l’ordre chronologique, respectant ainsi la suite narrative. Quarante-huit photographies en noir et blanc se succèdent, créant ainsi une suite narrative relative aux tâches quotidiennes d’une femme ordinaire. La série se subdivise en deux parties : vingt-huit clichés pour la réalité et vingt pour les fantasmes.
[7] Michel Journiac, 24 h de la vie d’une femme ordinaire, Paris, ed. Arthur Hubschmid, 1974, n. p.
[8] Michel Journiac, op. cit., n. p.
[9] Michel Journiac, « Six propositions interrogatives », Opus International, avril 1975, n° 55, p. 47.
[10] Michel Journiac a d’ailleurs accordé un entretien inédit à Marie-Claire, en 1973-1974.
[11] Vingt ans après, en 1994, Michel Journiac travesti en bourgeoise réactualise la série de 1974, en reprenant quatre photographies de la première série (le trottoir, la vaisselle, le ménage, le couple) et en ajoutant quatre nouvelles images (le musée, le portrait, le piano, le gigolo) Ces clichés en noir et blanc sur carton plume de 110 x 90 cm sont conservées au F.R.A.C. Rhône-Alpes.
Publié dans Lunes (Réalités, Parcours, Représentations de Femmes), n° 15, avril 2001, pp. 66-71.
Voir aussi mon texte sur le site Exporevue
GINA PANE OU L'ART CORPOREL D'UNE PLASTICIENNE - PROPOS DE JACQUELINE CHAILLET & MARCEL COHEN RECUEILLIS PAR JULIA HOUNTOU
Gina Pane ou l'art corporel d'une plasticienne - Propos de Jacqueline Chaillet et Marcel Cohen recueillis par Julia Hountou
Gina Pane. Action Laure, 1977 © Galerie Isy Brachot, Bruxelles
GINA PANE - ENTRETIEN ENTRE CHRISTINE DUCHIRON-BRACHOT ET JULIA HOUNTOU
Propos recueillis par Julia Hountou publié dans FLUX NEWS, n° 38, juillet-septembre 2005
Comment avez-vous découvert Gina Pane ?
J'ai découvert Gina Pane chez Christiane Germain, lors du vernissage de l'exposition L'oreille de Van Gogh, en 1976. Elle s'intéressait à l'art contemporain qu'elle collectionnait et exposait. En 1975, Rodolphe Stadler a présenté dans sa galerie de la rue de Seine l'exposition sur l'art corporel, organisée par François Pluchart. Les artistes exposés étaient Vito Acconci, Chris Burden, Dennis Oppenheim, Gina Pane, Michel Journiac, Urs Lüthi, Katharina Sieverding, Günter Brus, Otto Muehl, Hermann Nitsch, Rudolf Schwarzkogler, etc. Ayant moi-même ouvert ma galerie en 1975, à Bruxelles et désirant promouvoir l'art contemporain, j'ai présenté à mon tour, en 1977, l'art corporel en collaboration avec François Pluchart. C'est, selon moi, un mouvement qui a marqué le domaine artistique en influençant un grand nombre d'artistes contemporains. La plupart des artistes de cette époque étaient présents dans l'exposition : Michel Journiac, Urs Lüthi, Luigi Ontani, Jürgen Klauke, des artistes américains et allemands ainsi que Gina Pane. Depuis cette période, nous ne nous sommes plus quittées, elle et moi, jusqu'à ce qu'elle disparaisse. Si j'ai exposé différents artistes de l'art corporel, Gina Pane est la seule qui ait fait une Action (Laure, le 28 avril 1977) dans ma galerie, parce qu'elle était pour moi une artiste très importante qui se distinguait par sa poésie et son exigence.
Qu'est-ce qui vous a touché, interpellé dans la démarche de Gina Pane ?
Beaucoup de choses. J'ai vite compris que c'était une artiste qui touchait à des problématiques essentielles. Sa façon d'utiliser son corps comme langage, comme expression était étonnante. Sa grande sensibilité aussi, son intelligence, sa justesse, son authenticité et sa spiritualité m'ont profondément marqué. Elle avait une conscience de la préciosité de la vie. Avec Gina, on parlait de la vie et de l'amour.
Quels rapports aviez-vous avec Gina Pane ? Y avait-il une grande complicité entre vous ?
Oui, nous étions proches. Nos rapports étaient basés sur la confiance, tant sur le plan du travail que sur le plan amical. Elle a beaucoup compté pour moi. Nous avions l'une pour l'autre, un grand respect et une profonde amitié. J'étais souvent dans ses confidences personnelles, artistiques et dans ses doutes. En 1979, elle a arrêté ses Actions parce qu'elle avait tout dit et ne voulait pas se répéter. Ce moment a été difficile car elle se posait beaucoup de questions quant au choix des matériaux et à sa manière d'exprimer sa créativité. Mais très vite, elle a trouvé un nouveau mode d'expression qu'elle a appelé ses Partitions. Cette transition a été passionnante à partager, à suivre, à vivre, mais parfois, douloureuse car elle a dû se battre pour s'imposer et se faire respecter. Le fait d'être une femme ne l'a pas aidée car elles étaient peu nombreuses à réaliser des performances. Nous avons lutté pour essayer de la faire reconnaître. Aujourd'hui, cela paraît peut-être évident, mais ça ne l'était pas de son vivant.
Vous souvenez-vous de bons moments passés avec elle, d'une ou deux anecdotes qui vous ont marqué ?
Tous les moments passés avec Gina étaient exceptionnels. Lors de son exposition en Allemagne (Petit Voyage. Oh ! Oh ! En couleurs – Partitions Actions, le 26 mars 1982, dans le cadre du festival Performance Zwei, au Künstlerhaus Bethanien – D.A.A.D., du 19 au 30 mars 1982), nous avons visité Berlin Est avant la chute du mur. Son regard sur cette ville était pertinent. Et quand je venais à Paris, nous nous arrangions pour nous voir. C'était impératif, nécessaire, indispensable. L'action Laure n'a fait que renforcer nos liens. Comme toujours, Gina a fait cette action avec toute son intelligence et sa finesse, en rapport avec le livre de Colette Peignot, la compagne de Georges Bataille, Laure. Celle-ci luttait pour la liberté, le respect et les droits de la femme. La connivence entre la démarche de Gina et l'écriture de Laure est manifeste. Sans être féministe, Gina souhaitait donner à la femme une ouverture et une possibilité d'accéder à sa propre créativité. Cette action me tient particulièrement à cœur pour des raisons personnelles. Elle est pour moi un hommage prémonitoire à ma fille Laure, qui avait le même prénom. Particulièrement moderne pour l'époque, Collette Peignot a été incomprise et en a beaucoup souffert. J'établie un lien avec ma fille qui a traversé la vie comme une étoile traverse le ciel. En plus, ma sœur est intervenue dans cette action. C'est la jeune fille aux cheveux blonds, habillée en blanc qui tient le plateau de fraises.
Gina Pane, Action Laure, 1977 © Galerie Isy Brachot, Bruxelles
Est-ce qu'avant de réaliser cette Action, Gina Pane vous en a parlé ?
Non, elle ne dévoilait pas son travail. Elle laissait à chacun la liberté d'interpréter et d'entrer dans son œuvre. La sachant perfectionniste, je lui faisais totalement confiance. Je la considérais comme un être érudit, et je n'avais aucune inquiétude quant à la profondeur et à la qualité de sa démarche. Elle travaillait énormément, lisait Artaud et Saint François d'Assise par exemple, qu'elle aimait beaucoup. En perpétuel questionnement, en constante recherche, elle avait toujours des petits carnets sur elle. Cette exigence ne l'empêchait pas d'être gaie et passionnée.
Ses Actions vous semblaient-elle lentes et longues ?
Même si ses performances pouvaient durer plus d'une heure, elles ne m'ont jamais paru longues. Et je n'en ai jamais ressenti d'ennui malgré leur lenteur. La richesse des images et les relations qu'elle établissait avec ses objets minutieusement choisis constituaient un puzzle qui me questionnait, m'interpellait véritablement. Dans l'Action Laure, je me souviens qu'assise sur un tabouret, elle se mouvait tel un pantin, et tapotait sa bouche en émettant des onomatopées ("aaah"). Elle illustrait ainsi l'incommunicabilité en tenant à la main un petit personnage articulé en bois. Cette scène était belle et forte.
Vous évoquez beaucoup la force de Gina Pane. Vous souvenez-vous de l'état dans lequel elle était avant et après son entrée en scène ?
À chaque fois, Gina logeait à la maison. Avant l'Action Laure, elle s'est habillée comme d'habitude avec sa chemise et son pantalon blancs. Elle avait besoin de se retirer pour se concentrer jusqu'au moment où elle entrait en scène, en état de quasi méditation. Après l'action, bien que fatiguée, elle répondait aux questions posées par le public, en restant attentive et disponible. Ensuite seulement, reconnaissant son épuisement, elle allait se reposer.
A l'issue de l'Action, Gina Pane se blessait la main avec une lame de rasoir. Est-ce que cela vous a heurtée ?
Cela ne m'a jamais heurtée. Cette femme dégageait une telle vérité et était tellement saine qu'il n'y avait rien d'ambigu. Sa démarche était si honnête que le fait de se blesser ne me dérangeait pas. La puissance de la signification des symboles qu'elle utilisait était troublante car son message résonnait en chacun de nous, en référence à un événement humain, social, culturel ou mondial. Elle était comme un "médium". A cette époque, la "blessure" de Gina était assez mal vécue. Pourtant, elle était toujours très délicate et avait un sens profond qui ne relevait pas d'un simple désir de se mutiler. Otto Muehl ou Hermann Nitsch par exemple, étaient selon moi, davantage dans l'excès.
Avez-vous le constat de l'Action Laure ?
Il me reste de l'Action Laure, le cahier que Gina m'a donné et qu'elle utilisait dans l'Action, ainsi que la lame de rasoir, la balle et l'avion. Sur deux pages du carnet, elle avait relevé des citations extraites des écrits de Laure qui ont été tâchées de son sang mais restent lisibles. Je possède aussi une des petites épingles amusantes que Gina portait toujours sur ses vêtements ainsi que la vidéo de l'Action qui n'a jamais été montrée.
Y avait-il une grande attention de la part du public ?
Ah oui ! Gina l'imposait par sa force et par sa présence. L'atmosphère de la galerie était électrique et l'intensité était redoublée par le silence, puisque comme dans la majorité de ses Actions, Gina ne parlait pas. Contrairement à d'autres performers de cette époque, elle dégageait une réelle puissance au cours de son Action semblable à un tableau qu'elle déroulait devant nous. Mystérieux, il nous interpellait par ses images, ses gestes et ses symboles qui faisaient sens. Rien n'était laissé au hasard. Gina avait comme d'habitude beaucoup préparé son action. Or, je me souviens qu'à un moment, un homme s'est levé en disant : "Mais qu'est-ce que cela signifie ? Quoi qu'il en soit, moi, je vais manger des fraises". Il a en effet mangé deux ou trois fraises qui se trouvaient dans l'assiette tenue par ma sœur. Cette petite anecdote apparaît dans la vidéo. Comme la tension était très soutenue, c'était pour lui qui était mal à l'aise, une façon de la faire redescendre. Si cet acte provocateur ou libérateur a fait rire certains spectateurs, Gina quant à elle, n'a pas été troublée et a continué son action en restant très concentrée. En fait, la provocation est tombée à l'eau. L'indifférence était la meilleure réaction qu'elle pouvait avoir.
Le public était-il homogène ?
Isy, mon mari et moi, partagions la galerie. Il occupait le rez-de-chaussée où il exposait des œuvres surréalistes de René Magritte, Paul Delvaux, et autres. J'occupais l'étage supérieur où je présentais des œuvres beaucoup plus avant-gardistes. Comme mon espace ne se prêtait pas bien à l'action de Gina, mon mari lui a proposé de la réaliser dans sa galerie. L'action n'a pas été tellement choquante pour le public qui venait par le bouche à oreille, mais nettement plus, pour les clients habituels qui n'étaient pas informés de ce qui allait se passait. En fait, la majorité du public connaissait déjà l'art corporel et avait entendu parler de Gina. Il était donc préparé et conscient de la qualité de son travail, même si la blessure restait impressionnante. Différentes personnalités très pointues de l'art contemporain et quelques collectionneurs étaient présents : Flor Bex alors directeur de l'ICC, les critiques d'art François Pluchart et Jean Dypréau, le collectionneur d'art contemporain Herman Daled, l'artiste Stefan De Jeager et Charles Hirsch un scientifique proche de Panamarenko. Je me demande si Michel Journiac n'avait pas fait le voyage. Jean-Pierre Van Tieghem journaliste à le R.T.B. qui avait beaucoup aimé l'Action Laure a voulu la rencontrer pour s'entretenir avec elle.
Parmi les actions de Gina Pane que vous avez vues, y en a t-il une que vous préférez ?
Parmi toutes ses actions, Laure est, comme je vous l'ai dit, celle qui m'interpelle le plus parce qu'elle fait résonance en moi par rapport à mon histoire personnelle et correspond au début d'une collaboration qui a duré jusqu'à la disparition de Gina. Elle est un lien entre elle et moi. Little Journey était aussi très belle, dans les contrastes chromatiques, dans la confrontation de l'Occident et de l'Orient. Cependant, j'adhère à la globalité de son œuvre qui a une véritable unité même si chaque action a son intérêt, sa singularité.
Vous avez insisté sur la spiritualité de Gina Pane. En effet, à la fin de sa carrière, ses œuvres sont explicitement spirituelles, même si cette démarche est déjà présente dès le début. Avez-vous perçu une progression de sa spiritualité au fur et à mesure de votre relation et de sa propre évolution ?
Dans Situation idéale, Gina est comme un "Christ", dans la verticalité et l'ouverture. Cependant, elle n'exprimait pas sa spiritualité par la parole, elle la démontrait dans sa manière d'exister, comme un être éveillé qui affirme sa lucidité et son regard aimant à l'égard des autres. Ses œuvres sur les martyrs ne sont jamais tombées dans la "bondieuserie". Sa rigueur et sa grande fermeté ne laissaient pas d'ambiguïté. La blessure comme ses dernières œuvres étaient des signes, des symboles, dans la pureté de leur signification première. Son discours artistique n'a jamais débordé ; il était d'une justesse intellectuelle et historique incroyable.
Pensez-vous souvent à Gina Pane ?
Oui, la qualité de son être me manque. Lorsqu'elle était malade, je venais la voir dans son atelier près de Beaubourg. Courageuse bien qu'alitée, elle restait joyeuse, pétillante et intelligente. Gina m'a alors raconté une très belle histoire. Pendant les vacances, elle et son amie Anne étaient dans le Midi de la France, où se produisait Julio Iglesias qu'Anne adorait. Pour lui faire plaisir, Gina lui a dit : "Tu veux voir Iglesias ? Eh bien, tu vas le voir". Avec le culot et l'aplomb qu'avait Gina, elle s'est fait passée pour une journaliste afin d'accéder à la conférence de presse. A un moment, elle s'est levée et lui a dit de sa voix forte, les pieds bien plantés dans le sol, les mains sur les hanches : "M. Iglesias, quelle est votre attitude par rapport à l'art ?" Sa question tranchait totalement avec celles que posaient les journalistes du cru. Voilà, c'est le cadeau d'anniversaire que Gina a fait à son amie qui était aux anges. Ça, c'était Gina ! Et un jour alors que je l'accompagnais à l'hôpital à la fin de sa vie, elle me dit cette phrase magnifique : "Tu vois, Christine, maintenant je suis embarquée dans un avion mais j'aurais bien aimé être dans celui d'à côté". Au-delà de la simple relation artiste/galeriste, nous avons eu des échanges très intenses. Nous n'avons malheureusement pas vendu beaucoup d'œuvres de Gina mais nous avons fait un autre travail qui lui a permis d'être connue. Dans ma vie de femme, de marchand, à tous points de vue, ce fut une rencontre vraiment importante, enrichissante, fondamentale.